Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

V

Un personnage singulier, qui resta longtemps pour nous une énigme, compta pour quelque chose parmi les causes qui firent de moi, en somme, bien plus un fils de la Révolution qu’un fils des croisés. C’était un vieillard dont la vie, les idées, les habitudes, formaient avec celles du pays le plus singulier contraste. Je le voyais tous les jours, couvert d’un manteau râpé, aller acheter chez une petite marchande pour deux sous de lait dans un vase de fer-blanc. Il était pauvre, sans être précisément dans la misère. Il ne parlait à personne ; mais son œil timide avait beaucoup de douceur. Les personnes que des circonstances tout à fait exceptionnelles mettaient en rapport avec lui étaient enchantées de son aménité, de son sourire, de sa haute raison.