Page:Revue de l'Orient Chrétien, vol. 12, 1907.djvu/205

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frère entra près de lui et lui dit : Abbé, avec qui parles-tu ? Il répondit : Je chassais mes mauvaises pensées et j’appelais les bonnes.

57. — Un frère dit à un vieillard[1] : Je ne vois pas de lutte en mon cœur. Le vieillard lui dit : Tu es un carrefour et quiconque le veut entre chez toi ou sort sans que tu t’en aperçoives. Si tu avais une porte, si tu la fermais et ne permettais pas aux mauvais raisonnements de la franchir, tu les verrais alors rester en dehors et te combattre.

58. — Un vieillard dit : Je laisse tomber le fuseau, et je mets la mort devant mes yeux avant de le relever.

59. — J’entendis raconter qu’un vieillard demeurait au temple et à Clysma et ne faisait pas le travail du moment, même si quelqu’un voulait le lui mettre en train, mais, au temps des nattes[2], il travaillait la paille[3] et lorsqu’ils s’occupaient des vêtements, il travaillait au lin afin que son esprit ne fût pas troublé par ces ouvrages.

60. — Lorsque[4] les frères mangeaient dans l’église des Cellules, le jour de Pâques, ils donnèrent une coupe de vin à un frère et l’obligèrent à boire. Il leur dit : Épargnez-moi, (mes) pères, car vous avez déjà fait ainsi l’an dernier et j’en ai été longtemps affligé.

61. — On racontait[5] d’un vieillard des pays bas qu’il s’adonnait à l’ascétisme et qu’un séculier le servait. Le fils du séculier tomba malade et il supplia longtemps le vieillard pour qu’il vînt prier sur son fils, et le vieillard partit avec lui. Le séculier courut dire à sa maison : Venez au-devant de l’anachorète. Quand le vieillard les vit venir de loin avec des lumières, il eut l’idée de quitter ses vêtements, de les jeter dans le fleuve et de se mettre à les laver en restant nu. Lorsque son serviteur le vit, il fut couvert de honte et dit aux hommes : Allez-vous-en, car le vieillard a perdu l’esprit. Puis il alla près de lui et dit : Père, pourquoi as-tu fait cela ? car tous disent que le vieillard est un possédé. Celui-ci répondit : C’est précisément ce que je voulais entendre.

62. — Un anachorète[6] paissait avec des buffles. Il demanda à Dieu : Seigneur, apprends-moi ce qui me manque. Une voix lui dit : Va dans tel monastère et fais ce qu’on te dira. Il alla donc demeurer dans ce monastère et il ne connaissait pas le travail des frères, aussi les petits moines commencèrent à lui enseigner ce travail et ils lui disaient : Fais cela, idiot ; fais ceci, sot vieillard. Ainsi opprimé, il pria Dieu et dit : Seigneur, je n’entends rien au travail des hommes, renvoie-moi auprès des buffles. Dieu le lui permit et il retourna dans la campagne manger avec les buffles.

(À suivre.)
F. Nau.



  1. M, 939, n° 43.
  2. Comme σαγίον. Voir Du Cange.
  3. Nous n’avons pas trouvé ce mot dans les Dictionnaires.
  4. L, fol. 82v. B, p. 470. Le syriaque ne dit pas qu’il s’agit des Cellules.
  5. L, fol. 87r. B, p. 543, n° 268. M, 782, n° 18 ; 1020, n° 35 ; 1035, n° 7. Paul 166.
  6. Publié ROC, 1905, p. 414-415.