Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 2, 1920.djvu/2

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égale chez tous. On s’explique alors qu’il ne semble plus de mise, quand on se trouve, non en face d’enfants ou de jeunes gens, mais en face d’adultes, de se présenter en éducateur. On accueillera encore volontiers le moraliste qui vient exposer des idées, formuler des théories sur la morale, parce que, encore une fois, en matière de pensée, chacun admet bien qu’il puisse avoir quelque chose à acquérir ; mais d’un homme, à moins que précisément il ne parle au nom d’une sagesse supérieure et d’une autorité divine, on n’acceptera pas facilement qu’il ait l’air de donner des leçons de moralité. Pour tout dire, dans une chaire laïque, tout ce qui prendrait l’aspect d’un sermon a quelque chose de déplaisant et presque d’offensant.

Aussi n’est-ce pas non plus un sermon que j’entreprends ici ; et même ce que je voudrais montrer, c’est précisément ce qu’il y a d’insuffisant, d’inégal aux besoins de notre temps dans cette idée d’une conscience morale innée, universelle, également prête chez tous à résoudre toutes les questions qui devraient se poser à elle, mais que justement elle est loin de se poser. Ce que je voudrais faire sentir, c’est qu’il nous faut étendre l’idée que nous nous faisons en général de l’éducation morale, de son domaine et de ses moyens, et qu’elle ne se borne pas, si grande et si difficile que soit déjà cette tâche, à inculquer aux enfants de bonnes habitudes et à leur faire acquérir ce qu’on appelle des vertus, mais qu’elle doit faire comprendre à chacun son rôle et sa fonction dans la vie collective, et susciter dans les consciences, au delà de cette bonne volonté générale et vague dont on usera comme on pourra, une bonne volonté informée, capable de discerner et d’éprouver avec force les exigences réelles qui s’imposent à l’action concrète, ou tout au moins curieuse de les connaître.

Dans l’éducation morale ainsi comprise, aucune personne, aucun groupe, aucune classe sociale n’a la prétention de faire la leçon aux autres et encore moins de se poser en modèle. Il s’agit au contraire de comprendre que, du fait même du milieu social qui nous est commun, nous participons tous plus ou moins à la même éducation morale et qu’elle est insuffisante ; que presque tous les reproches que nous pourrions être tentés de nous adresser les uns aux autres, les ouvriers aux bourgeois, les consommateurs aux producteurs, les hommes d’action aux intellectuels, les novateurs aux traditionalistes, seraient inopérants et vains parce qu’il serait trop facile de les retourner et d’établir un certain équilibre dans les responsabilités.