Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1913.djvu/19

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ici au cours du recueil sont fort belles, et de nature à faire comprendre avec quelle conscience le grand homme, vers le milieu du siècle, s’acquittait de ses fonctions de libre pasteur des âmes. En 1851, Stirling, se trouvant, par la mort de son père, en possession d’une honorable fortune, renonça à exercer, s’en alla apprendre le français en France (il passa cinq ans à Paris, puis à Saint-Servan, avec sa femme et ses enfants), puis apprendre l’allemand en Allemagne. Il s’établit à Heidelberg, fit la découverte de la philosophie de Hegel, et devint philosophe : il avait alors trente-sept ans.

En 1861, il s’établissait de nouveau en Écosse, près d’Édimbourg, et passait quatre ans à méditer les systèmes non seulement de Hegel, mais de ses devanciers immédiats, de Kant, de Fichte et de Schelling. Dorénavant son existence avait un but. Il voulait guérir la philosophie anglaise de son insularité, faire comprendre à ses compatriotes que leur pensée serait pauvre et gauche tant qu’elle ne prendrait pas contact avec l’histoire de l’idéalisme traditionnel, tant qu’elle ne se serait pas assimilé ce qu’il appelait d’une expression bizarre l’ « aliment historique », the historic pabulum. Son Secret of Hegel, ouvrage d’une structure étrange, où l’influence du style et de la manière de Carlyle est marquée, parut en 1865. L’ouvrage exerça tout de suite de l’influence. La réaction que Coleridge, Carlyle, Emerson, avaient déterminée, en poètes, contre l’Aufklärung de Bentham et de Ricardo, Stirling la renouvelait, en métaphysicien, en technicien, contre l’Aufklärung de Buckle, de H. Spencer, de Darwin (Darwin paraît avoir été l’objet particulier de sa haine). C’est par lui que Carlyle et Emerson eux-mêmes apprirent à connaître Hegel. C’est sous son impulsion qu’il y eut une école hégélienne anglaise, maîtresse, avant la fin du siècle, de toutes les Universités. L’action aura-t-elle été durable, et ne peut-on reconnaître, à bien des signes, que la philosophie britannique est en voie de revenir, par des chemins divers, à son insularité primitive ? Il ne semble pas, en tout cas, que Stirling vieillissant ait eu la douleur de s’en préoccuper. Stirling jouissait d’être devenu une sorte de patriarche intellectuel, celui qui avait connu Carlyle, celui qu’Emerson était plus tard venu voir à Édimbourg, celui chez qui les jeunes métaphysiciens venaient en pèlerinage, celui à qui l’Université d’Édimbourg, pour le consoler d’anciens échecs académiques d’autrefois, avait demandé d’être, en 1888, son premier Gifford Lecturer. La pieuse et attachante biographie que nous avons sous les yeux constitue un document fort important sur l’histoire de la pensée anglaise, dans la deuxième moitié du dernier siècle.

Conosci Te Stesso, par Bernardino Varisco, 1 vol. in-8 de xxviii-353 p., Libre ria editrice milanese, 1912. — Après son grand ouvrage « I massimi Problemi » publié en 1910, M. Varisco avait songé d’abord à faire un exposé historique pour montrer comment sa doctrine est l’aboutissement nécessaire des grands systèmes antérieurs. Mais il a senti le besoin de revoir encore sa pensée, et il nous présente une nouvelle exposition de sa doctrine, plus serrée et plus complète. Il la fait précéder d’un résumé sommaire dans l’Introduction, et il y ajoute quelques éclaircissements et d’intéressantes réponses aux critiques.

Comme l’indique le titre de son livre, M. Varisco voit dans la Connaissance de Soi-Même le point de départ et le but de sa recherche. Il ramène la philosophie à la théorie de la connaissance, et il applique à l’homme cette proposition de saint Thomas relative à Dieu : Intelligendo se, intelligit omnia alia.

Une fois établi que la réalité donnée consiste en une multiplicité de sujets conscients reliés en un système, on rencontre le problème vraiment suprême, que l’auteur aborde ici de plus près, à savoir : Le système des consciences particulières se suffit-il à soi-même, ou bien implique-t-il une réalité transcendante ? Dans le chapitre sur L’Absolu, M. Varisco démontre que les valeurs sont dépendantes et inséparables de la conscience personnelle, et que les sujets particuliers ne sont pas réductibles à un sujet unique, ne s’identifient pas en un Esprit universel, tel que le conçoit Hegel. Il reste donc à choisir entre deux hypothèses : le panthéisme et le théisme. Admettre que l’Être est purement immanent, c’est dire que toute réalité est de l’ordre des phénomènes, c’est exclure, non pas sans doute la réalité temporelle des valeurs, mais bien leur universalité et leur permanence en même temps que la finalité essentielle du devenir. Si l’on croît que les valeurs spirituelles sont indestructibles, il faut, pour justifier cette croyance, admettre une réalité transcendante, un Sujet universel au-dessus des sujets particuliers ; il faut, en d’autres termes, admettre proprement l’existence de Dieu. Sans considérer encore le théisme comme absolument démontré, M. Varisco y tend par toute la logique de sa conscience et y adhère provisoirement.