Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1913.djvu/4

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Benda ; et en troisième lieu, l’affirmation de la continuité du moi ; affirmation certainement fausse, pense M. Benda, car le changement infinitésimal impliqué dans cette idée de continuité est un être de raison et un artifice de l’intelligence. Si nous étudions maintenant la théorie de la liberté, nous voyons que la liberté, telle que la conçoit M. Bergson, ne peut nous satisfaire ; car qui nous dit que le moi fondamental est libre ? En dernier lieu, M Bergson devait nous dire ce que signifiait l’évolution ; or nous ne voyons rien de tel ; il se borne la plupart du temps à constater que l’acte vital est un acte et non une chose ; et quand il veut aller plus loin, il est forcé de faire comme Spencer et de caractériser des différences entre les états.

Nous n’avons retenu des critiques de M. Benda que les plus importantes ; cela suffit à montrer combien d’idées sont agitées dans ce petit volume. On aurait voulu que les convictions rationalistes de M. Benda fussent appuyées sur une analyse patiente. Malheureusement la verve de l’auteur, son enthousiasme, l’emporte jusqu’à donner parfois l’allure d’un pamphlet, d’une diatribe à des arguments qui sont dans leur fond d’ordre purement abstrait et intellectuel. Autant que nous pouvons en juger, M. Benda admet un point de départ semblable à celui de Renouvier : l’existence des catégories, définies ne varietur et séparées les unes des autres. C’est le cadre de ces catégories qu’il prétend imposer aux thèses de M. Bergson, et l’on ne s’étonne pas de la torture qu’il leur inflige ainsi ; mais on ne s’étonne pas non plus qu’il arrive à ses critiques de s’égarer sur des concepts substitués aux intuitions bergsoniennes, au lieu de porter sur la forme originale et authentique sous laquelle ces intuitions sont présentées. Ni la continuité ni la force, prises dans leur sens traditionnel, ne suffisent à procurer l’idée de ce qu’est le moi pour M. Bergson ; de même accorder que l’intelligence est incapable de connaitre directement le continu, c’est donner d’avance gain de cause à ce mouvement irrationaliste dont M. Bergson est — on ne s’en doute pas assez en lisant M. Benda — le représentant le plus subtil, le plus inhérent, le plus profond. Si la philosophie bergsonienne doit être discutée, il convient que ce soit non seulement sur un autre ton, mais avec une tout autre base, comme M. Delbos l’avait excellemment montré dans cette Revue même, au lendemain de la publication de Matière et Mémoire.

Premiers Principes d’une Théorie Générale des Émotions, par Marius Latour, 1 vol. in-12 de 300 p., Paris, Alcan, 1912. — L’auteur expose une théorie des émotions qui est d’ordre « purement psychologique ». Les émotions qu’il envisage sont : la crainte, l’assurance, le dépit, l’admiration, le dégoût, le rire, la pitié, l’amour et la tendresse. Il se propose de faire rentrer la cause de ces émotions dans une formule simple et de montrer la dépendance qui existe entre elles.

Le succès ou l’échec expliquent de proche en proche chez l’être vivant toutes les émotions qu’il peut éprouver. Les spectacles qui nous sont offerts par le monde extérieur affectent notre sensibilité dans la mesure où ils suggèrent le succès ou l’échec de toute volonté avec laquelle nous sommes en solidarité ou en opposition. Ils nous affectent ensuite dans la mesure où ils témoignent de la présence ou de l’absence des attributs de la volonté, qui sont une promesse de succès.

L’auteur, persuadé que l’analyse, dans l’introspection, peut conduire à une science voisine de la géométrie ou de la grammaire, s’est efforcé de « pénétrer de l’esprit géométrique » l’étude qu’il a entreprise. À vrai dire, il est très difficile, pour le lecteur moderne, de comprendre cette méthode purement scolastique, où les concepts psychologiques sont définis d’une manière purement abstraite, en dehors de tout appel à la réalité, à l’expérience, où les théories générales ne sont nulle part confrontées avec les faits, où l’on ne sort jamais des idées vagues et imprécises. C’est une entreprise courageuse et hardie que d’essayer de donner une théorie « purement psychologique » de la peur ou de l’amour, mais on peut se demander si une pareille entreprise n’est pas forcément vouée à l’insuccès par sa hardiesse même. Il ne semble pas en tout cas que M. Latour ait, comme il le dit, « résolu » toutes les difficultés inhérentes à cette tache.

La Simulation du Merveilleux, par P. Saintyves. Préface du Dr  Pierre Janet, 1 vol. in-12 de xii-387 p., Paris, Flammarion, 1912. — Dans un volume richement documenté, nourri de faits, M. Saintyves étudie différentes espèces de simulation, la simulation des maladies surnaturelles, et la simulation des guérisons miraculeuses. Nous voyons défiler tour à tour, dans cette galerie de fourbes, les faux mendiants, les médiums trop adroits, les faux démoniaques, les faux mystiques et les faux prophètes, enfin les miraculés imposteurs. C’est un véritable musée de