Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
LES ALBANAIS EN ITALIE.

patriotes d’Albanie. Ils ne parlent le calabrais que par nécessité, et seulement avec leurs voisins, entre eux jamais. On peut leur appliquer le bilingues d’Horace.

Leurs mœurs, la force plus que le temps les a modifiées. Le gouvernement s’est attaché lui-même à les dénationaliser, et son niveau de fer a passé sur ces peuplades de montagnes. Ces hommes ont dû abandonner leur costume. Naguère ils marchaient armés ; or, un décret de 1821[1] frappait de mort quiconque portait des armes, ou seulement en gardait dans sa maison. Ils aimaient à se réunir sur les places publiques, et à chanter au clair de lune les vieilles chansons de la patrie ; une nouvelle loi a prohibé toute réunion de plus de cinq personnes, et fermé la place publique comme un théâtre de sédition.

Peuple gai et spirituel, il aimait la danse et les festins ; la misère a banni les fêtes, et la police, hydre à mille têtes, en créant les partis, en semant les discordes, a proscrit la confiance, les épanchemens.

Au milieu de tous ces malheurs, à travers tant d’années et de vicissitudes, les Italo-Albanais ont conservé un fond de générosité, quelque chose d’âpre et d’indépendant qui me plaît. Ils pratiquent l’hospitalité sans faste, avec une simplicité tout-à-fait homérique.

« Tu ne vois que notre ombre, me disait un vieil Albanais à cheveux blancs, avec le franc tutoiement calabrais ; au temps de ma jeunesse, tu aurais encore trouvé l’Albanie sur les montagnes de Calabre. La population t’aurait reçu en fête, et au son des guitares ; on t’aurait donné des festins ; mais aujourd’hui sommes-nous nous-mêmes ? Ils ont peur de toi, ils te

  1. Depuis, il a été adouci, et les galères ont été substituées à la mort.