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VIII
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

et s’effacent pour ne plus reparaître ; pourquoi, au lieu de suivre cette sévère unité d’intérêt distribué sur un nombre voulu de personnages qui, partant du commencement du livre, doivent bon gré malgré arriver à la fin pour contribuer au dénouement chacun pour sa quote-part ; pourquoi, dis-je, en admettant une idée philosophique, ou un fait historique qui traverserait tout le livre, on ne grouperait pas autour des personnages qui, ne servant pas de cortége obligé à l’abstraction morale qui serait le pivot de l’ouvrage pourraient être abandonnés en route, suivant l’opportunité ou l’exigeante logique des événemens. » Ainsi a fait M. Sue, il s’est soustrait aux lois de l’unité : son livre forme comme trois actions différentes ayant chacune ses personnages. Dans la première, c’est le capitaine Benoît, honnête traficant de bois d’ébène, ne pensant qu’à sa Catherine, et faisant son métier de vendeur de chair humaine avec la même tranquillité qu’un bon bourgeois de la rue Saint-Denis celui de marchand de bonneteries. Arrive ensuite le capitaine Brulart, qui tue et brûle, et qui, trouvant plus commode de voler des nègres que de les acheter, dépouille le pauvre Benoît de sa cargaison, et l’envoie manger par les petits namaquois, dont le chef Atar-Gul est esclave à son bord. Brulart a tout bénéfice à cette plaisanterie, comme il l’appelle : d’abord il devient maître des nègres du capitaine Benoît, et les petits Namaquois lui livrent, pour satisfaire leur vengeance, des grands Namaquois qui doublent le nombre de ses nègres. À son tour, Brulart est pendu sur une corvette anglaise mise à sa poursuite. Dans la troisième partie, Atar-Gul domine seul ; et ce terrible Africain ne reste pas en arrière de ses acolytes : il fait si bien qu’il amène la ruine de tout une famille, et finit par recevoir le prix de vertu. C’est là une amère satire des jugemens des hommes.

Attar-Gul est une horrible peinture de la traite des noirs, Brulart un type de férocité qui fait frémir ; la vengeance de l’esclave paraîtra outrée, et peut-être reprochera-t-on à l’auteur, ainsi qu’il le craint, de faire de l’horreur à plaisir. Mais son livre sera lu, parce qu’il a tout ce qu’il faut pour exciter un puissant intérêt de curiosité. La seconde édition est sous presse.


Barnave, roman de M. J. Janin, 4 vol. in-12, paraîtra dans les premiers jours de septembre chez les libraires Mesnier, place de la Bourse, et Levavasseur, au Palais-Royal.