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REVUE — CHRONIQUE.

phide ou rien. Et c’est à l’inexpérience de M. Duponchel qu’il faut attribuer ce triste état de choses ! M. Duponchel professe pour la musique un dédain qu’il a sucé avec le lait ; mais comme les gens qui l’entourent sont presque tous des musiciens de plus ou moins de génie ou de talent, qui défendent tous plus ou moins leur art et leurs intérêts ; comme, après tout, il est directeur de l’Académie royale de Musique, M. Duponchel lutte parfois contre ses instincts et se soumet ; mais son instinct ne manque jamais de revenir au galop, et dès-lors il n’a de cesse qu’il n’ait confié sa fortune à la danse. Qu’arrive-t-il ? la danse un beau jour s’accroche l’aile ou se foule le pied, et l’Opéra chôme. Pour peu qu’on y réfléchisse, on verra que rien au monde n’est moins varié que le répertoire de l’Opéra : ôtez-en les Huguenots, Robert-le-Diable, la Juive, que reste-t-il ? Et la danse, que peut-elle produire, maintenant que les Ellssler sont absentes, sinon la Sylphide et la Révolte au sérail ? Les chanteurs français ne sont pas comme les Italiens, courageux, vaillans, infatigables, toujours prêts à chanter. Quand M. Nourrit ou Mlle Falcon ont paru dans Robert-le-Diable, il faut qu’ils se reposent le reste de la semaine. Alors l’administration se voit dans la nécessité absolue de jouer la Sylphide, ou si Mlle Taglioni est indisposée, de faire relâche. Cependant le répertoire de l’Opéra n’a pas toujours été si pauvre, si dénué, si mesquin. C’est M. Duponchel qui l’a mis dans ce bel état. Aussi ces contretemps, qui l’embarrassent tellement aujourd’hui, l’ancien directeur n’y prenait même pas garde. M. Véron tenait toujours une représentation en réserve, pour remplacer au besoin celle qui pourrait manquer, car il savait mieux que tout autre combien le public interprète mal ces relâches fréquens, qui sont d’ordinaire comme les derniers soupirs des administrations maladives et chancelantes. Dès son entrée à l’Opéra, M. Duponchel a jugé à propos de se priver de certaines ressources dont il aurait pu disposer encore avec fruit. D’un trait de plume, il a rayé du répertoire bon nombre de partitions, entre autres le don Juan de Mozart, ce chef-d’œuvre dont les représentations, habilement ménagées, avaient jusque-là été si glorieuses pour ce théâtre. Après tout, le mal n’est pas si grand, Mozart devait être exclu d’une scène où Rossini subit tous les jours de si pitoyables traitemens ; et mieux vaut se résigner à ne plus entendre Don Juan, que de le voir taillé en pièces, comme Guillaume Tell ou Moïse, et livré à l’incapacité des sujets du second ordre. Que M. Duponchel y prenne garde ; pour peu que cela dure, l’Opéra finira par tomber en désuétude auprès de ces dignes provinciaux qui le fréquentent et promènent chaque soir au foyer leurs femmes et leurs filles avec une singulière ostentation ; car pour l’ancien public doré, qui, l’hiver dernier encore, faisait les honneurs de sa salle, il n’y faut plus penser. À l’heure qu’il est, ce public est partout en Europe, hormis à l’Opéra ; il se repose, il voyage, il prend les eaux, il est à Baden, à Vienne, à Prague, où l’on sacre l’empereur, et dans tous les châteaux de France. Nous le retrouverons au Théâtre-Italien.

Le Théâtre-Italien a publié le programme de sa saison nouvelle. Les grands noms de Rubini, de Lablache, de Tamburini et de la Grisi sont en tête. Certes, l’occasion est belle de produire des chefs-d’œuvre, et les applaudissemens ne manqueront pas à l’entreprise. Othello, Don Giovanni,