Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/659

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
655
REVUE — CHRONIQUE.

faute n’en est pas à sa musique, si légère, si bouffe, si charmante, mais au livret, l’un des plus monotones et des plus fastidieux qui soient au théâtre. Tout porte à croire que M. Auber prendra bientôt sa revanche d’une éclatante façon.

M. Meyerbeer est à Spa, où le retient le soin de sa santé. L’illustre auteur des Huguenots n’a pu se rendre au désir de l’empereur d’Autriche, qui l’appelait auprès de lui pour diriger la musique des fêtes qui vont avoir lieu à son couronnement. Nous ne saurions dire quel grand œuvre M. Meyerbeer prépare à l’heure qu’il est ; ce qu’il y a de certain, toutefois, c’est qu’il compose. M. Meyerbeer ignore les voluptés du repos ; c’est une de ces natures actives, vigilantes, infatigables, à qui l’oisiveté répugne. La préoccupation de l’œuvre et du succès les dévore. Là est leur mal ; et voilà pourquoi toute médecine échoue autour d’elles. Pour que ces eaux minérales, où l’on se plonge, fussent efficaces, il faudrait laisser au fond cette inquiétude continuelle, qui, chez certains esprits, est comme la sœur fatale de la pensée, au point que l’une n’existe qu’à la condition de l’autre, et qu’il semble que le jour où l’inquiétude cesserait de se manifester, toute force créatrice serait éteinte. Nous doutons fort que M. Meyerbeer destine à l’Opéra français la partition qu’il écrit en ce moment. La manière étrange dont M. Duponchel abuse du succès des Huguenots n’est pas faite pour encourager ce maître à lui confier un second ouvrage. Nul mieux que M. Meyerbeer n’est en position d’attendre ; et pour peu qu’il consente à ne se hâter pas, il arrivera juste à temps pour faire les honneurs d’une administration nouvelle.

Quoi qu’il en soit, il vient d’écrire en ses instans de loisir une des compositions les plus charmantes qui se puissent entendre. Le morceau dont nous parlons, inédit encore, est conçu dans des dimensions grandioses, et pourrait s’appeler cantate si la mélancolie, et la grace qu’il respire en certaines parties ne lui donnaient un air de parenté avec les plus aimables lieds de Dessauer ou de Schubert. C’est là une composition qu’on ne saurait nommer. Tout y est arrangé avec art, disposé avec mesure et plein d’harmonie et de fraîcheur. On ne trouve guère en musique d’effet plus saisissant à la fois et plus simple que cette progression ascendante, qui, partie des premières mesures, se développe insensiblement pour éclater au milieu en glorieuses fanfares, imitant l’explosion du matin dans la nature. L’accompagnement abonde aussi en petites notes charmantes qui tombent sur le clavier comme des gouttes de pluie ou de rosée, en fantaisies que Weber ne désavouerait pas. Nous parlions tout-à-l’heure, à propos de Mlle Loïsa Puget, des musiciens qui font d’un opéra une romance en deux ou trois actes. On pourrait dire le contraire de M. Meyerbeer ; sa romance vaut une partition ; pour nous, nous tenons franchement ce morceau pour supérieur à tous ceux que le maître a produits dans le même genre, et nous ne doutons pas que le lecteur ne soit bientôt de notre opinion là-dessus.

Le voyage de Rossini en Allemagne n’a pas manqué de traits curieux et dont Hoffmann eut bien fait son profit. Des ovations opiniâtres s’emparaient partout de l’illustre maître, des arcs de triomphe s’élevaient en son honneur sur toutes les routes au bruit des tambours et des cymbales.