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REVUE. — CHRONIQUE.

Fragmens philosophiques, par H. Gibon, professeur à la Faculté de philosophie et lettres de l’université de Liège[1]. — Ce livre de hautes et puissantes méditations est né au milieu des tumultes d’une existence agitée, durant les attaques de la presse et les injustices de l’opinion. C’est sous le coup des agressions les plus inattendues et les plus violentes que l’auteur s’est recueilli en lui-même pour présenter dans toute sa vérité une pensée défigurée par la mauvaise foi.

M. Gibon appartient à la colonie savante déléguée par la France vers la fille aînée de sa révolution, la Belgique. D’étroites jalousies locales et une intolérance qui ne seraient pas même comprises chez nous, ont rendu dès l’abord ardue et difficile la mission philosophique qu’il avait acceptée avec empressement. Les gens qui s’inquiètent en Belgique de l’influence française, comprirent qu’elle allait s’exercer avec l’autorité de la pensée et de la science. Les immobiles sectateurs du sensualisme s’effrayèrent de la parole mesurée qui sommait le xviiie siècle de comparaître à la barre de la génération nouvelle. On étouffa la voix du professeur consciencieux, et sa pensée s’est échappée dans un livre, œuvre brusquée et fort incomplète, sans doute, mais qui suffit à détruire bien des préventions, à inspirer de bien profonds regrets.

L’appréciation de la philosophie du xviiie siècle, les vues sur l’enseignement de la logique, sont des travaux d’excellente psychologie et de délicate analyse ; le premier morceau surtout, où l’auteur a pris la science au point où l’ont laissée les travaux de MM. Cousin, Jouffroy et Damiron, est visiblement le germe d’un ouvrage que M. Gibon reprendra à loisir dans ce calme de l’esprit que des épreuves passagères rendent à la fois plus fécond et plus doux.

Examinant d’abord la mission du xviiie siècle, l’auteur saisit et caractérise deux momens distincts dans le développement de sa philosophie, celui de Voltaire et celui de Condillac. Posant ensuite les trois principes fondamentaux de la science, l’objet des connaissances humaines, leur origine et la méthode d’investigation, il examine et réfute successivement les solutions qu’en donne l’école sensualiste. Enfin, sous le rapport des applications pratiques et sociales, il juge l’action de ce siècle avec une impartialité sévère, mais élevée, qui ne paraît avoir été ni appréciée, ni comprise. C’est surtout dans l’étude des sciences philosophiques qu’on peut en appeler des préjugés de la veille aux retours du lendemain, et c’est parce que M. Gibon a eu cette confiance qu’il a fait son livre.


— L’Europe savante possède des dictionnaires latins et des dictionnaires grecs, dont elle cite les auteurs avec estime et reconnaissance.

  1. Librairie de L. Hachette, rue Pierre-Sarrazin, 12.