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les pieds devant un feu ardent, montrait deux os qui lui étaient tombés des talons[1].

C’étaient là de cruels spectacles. Les juges même, tout légistes qu’ils étaient, et sous leur sèche robe de prêtres, étaient émus et souffraient. Combien plus le peuple, qui, chaque jour, voyait ces malheureux passer l’eau en barque, pour se rendre dans la Cité, au palais épiscopal, où siégeait la commission ! L’indignation augmentait contre les accusateurs, contre les templiers apostats. Un jour, quatre de ces derniers se présentent devant la commission, gardant encore la barbe, mais portant leurs manteaux à la main. Ils les jettent aux pieds des évêques, et déclarent qu’ils renoncent à l’habit du Temple. Mais les juges ne les virent qu’avec dégoût ; ils leur dirent qu’ils fissent dehors ce qu’ils voudraient.

Le procès prenait une tournure fâcheuse pour ceux qui l’avaient commencé avec tant de précipitation et de violence. Les accusateurs tombaient peu à peu à la situation d’accusés. Chaque jour, les dépositions de ceux-ci révélaient les barbaries, les turpitudes de la première procédure. L’intention du procès devenait visible. On avait tourmenté un accusé pour lui faire dire à combien montait le trésor rapporté de la Terre-Sainte. Un trésor était-il un crime, un titre d’accusation ?

Quand on songe au grand nombre d’affiliés que le Temple avait dans le peuple, aux relations des chevaliers avec la noblesse dont ils sortaient tous, on ne peut douter que le roi ne fût effrayé de se voir engagé si avant. Le but honteux, les moyens atroces, tout avait été démasqué. Le peuple, troublé et inquiet dans sa croyance depuis la tragédie de Boniface VIII, n’allait-il pas se soulever ? Dans l’émeute des monnaies, le Temple avait été assez fort pour protéger Philippe-le-Bel ; aujourd’hui tous les amis du Temple étaient contre lui…

Ce qui aggravait encore le danger, c’est que, dans les autres contrées de l’Europe, les conciles furent généralement favorables aux templiers. Ils furent déclarés innocens le 17 juin 1310 à Ravenne, le 1er juillet à Mayence, le 21 octobre à Salamanque.

  1. Ostendens duo ossa quòd dicebat illa esse quæ ceciderunt de talis. (Process., apud. Raynouard, pag. 73.)