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de Mascara et de Tlemecen, ces villes enlevées comme par des charges de cavalerie, avaient entièrement disparu sous le voile du deuil de 1836.

Le véritable point de départ de l’expédition fut, cette année, Medjez-Amar, camp établi sur l’une et l’autre rive de la Seybouze, au pied du Raz-el-Akba, le plus saillant des ressauts de terrain que l’on ait à franchir pour passer des contrées basses aux plateaux élevés, et à l’intersection de deux zones dont l’une appartient à la région de Bone, et l’autre à celle de Constantine. C’est un espace circulaire qui semble fermé de tous côtés par plusieurs enceintes de montagnes concentriques, dont les hauteurs augmentent en proportion de leur éloignement. Aucune issue ne se révèle. L’échappée par laquelle on descend aux plaines inférieures, la rampe par laquelle on monte aux lieux supérieurs, se dérobent également entre les plans fuyans de la montagne. On dirait une immense prison à ciel ouvert.

Le1er octobre, l’armée s’ébranla pour quitter Medjez-Amar. Les première et seconde brigades, commandées par M. le duc de Nemours et M. le général Trézel, marchaient sous les ordres immédiats du gouverneur-général ; puis venaient, sous la direction du général Rulhières, tout le convoi, et les troisième et quatrième brigades, commandées par ce général et par le colonel Combes. Dès le premier jour de marche, cette seconde partie de la colonne resta en arrière, empêchée par la lourdeur de l’immense matériel qu’elle traînait à sa suite, et ne put rejoindre les deux premières brigades que sous les murs de Constantine. De Medjez-Amar au sommet du Raz-el-Akba, on monta par une route que les troupes du camp avaient tracée à l’avance, entre le pied des crêtes rocheuses de la droite et la ligne passant par les origines des nombreux ravins dont la rampe naturelle est sillonnée. À mesure qu’on cheminait, on traversait comme différentes atmosphères de plus en plus froides, de plus en plus abaissées. Il semblait qu’on allât au-devant des orages. Lorsqu’on atteignit le point culminant, on se trouva au milieu de nuages qui se fondirent en pluie. De là on dominait une immensité de mamelons et comme une mer d’ondulations de terrain, dont rien n’interrompait la vaste et sombre monotonie. Des couches d’épais brouillards pesaient sur toute cette surface, remplissant les airs à une grande profondeur, et descendaient successivement pour se résoudre en eaux abondantes. Ce fut en ce lieu et dans ces circonstances qu’on s’arrêta pour camper. Un indicible malaise faisait frissonner les corps et les esprits. Ce n’était pas sans un grand ennui que l’on voyait les premières lignes de l’histoire de 1836 ainsi retracées d’une manière toute fatale à l’entrée de la carrière, et l’on regardait avec une sombre attention le convoi que les sinuosités du chemin laissaient voir par intervalles luttant contre les difficultés du terrain ; car il avait suffi des premières ondées pour rendre la surface de la route glissante comme la glace. Après avoir péniblement franchi les deux tiers, au plus, de la distance qu’avait parcourue la première colonne, la seconde s’arrêta à la hauteur des ruines romaines d’Announa. Cependant le temps s’était radouci, et, vers le soir, quelques lueurs douteuses du soleil couchant descendirent comme une consolation et une