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l’entrée de la bourgade, qui, à cette époque, n’avait ni murailles ni château pour défendre ce précieux dépôt. Les citoyens d’Amalfi se transportèrent donc sans plus tarder à Minori, chargèrent le corps de la sainte sur un navire, et le déposèrent dans l’église de Sainte-Marie et Saint-Jean, aujourd’hui Saint-André, cathédrale d’Amalfi.

Il arriva sur ces entrefaites que Sicard, ayant de nouveau commis quelque gros péché, crut assurer son absolution en faisant présent à son évêque d’une relique fameuse dans le pays ; il pensa donc à sainte Trophimène, et, partant un soir de Salerne, à bord de quelques barques pleines de soldats, il pénétra dans la bourgade, força les portes de l’église, mais il chercha vainement le corps de la sainte, le reliquaire était vide. À cette vue, Sicard entra dans une violente colère, et regardant la précaution que les habitans d’Amalfi avaient prise comme une insulte, il fit serment de se venger. Sicard était aussi habile politique que soldat courageux ; il se rappela que tous ses prédécesseurs avaient échoué dans leurs entreprises contre Amalfi, et, maîtrisant son ressentiment, avant de rien entreprendre, il étudia soigneusement le terrain, résolu de n’agir que lorsqu’il pourrait frapper un coup décisif.

L’aristocratie faisait la force du petit état, qui, grace à la prudence de ses magistrats et à l’esprit industrieux de ses habitans, voyait ses relations s’étendre et son importance s’accroître. Cette prospérité remplissait même ses citoyens d’orgueil ; ils n’avaient plus pour les Napolitains et les Lombards, leurs voisins, que des paroles de mépris. Sicard eut donc recours à tous les moyens pour mettre cette aristocratie dans ses intérêts, caressant les uns, comblant les autres de riches présens ; mais le plus assuré de ces moyens, ce fut l’amour et l’espoir de riches alliances. Les nobles Lombards de Salerne et de Bénévent avaient de jolies filles ; Sicard fit briller leur beauté aux regards des jeunes patriciens d’Amalfi qu’il invitait à ses fêtes, et dota richement ceux qui les choisirent pour femmes et qui s’établirent dans ses états. Bientôt la désertion fut générale. La fleur de l’aristocratie d’Amalfi, fatiguée, il est vrai, des tracasseries du parti populaire, abandonna le sol natal, emportant avec elle ses richesses, et se soumit volontairement à la domination du prince lombard. Cette fois, ce ne furent donc pas les membres qui se révoltèrent contre l’estomac, mais l’estomac qui se révolta contre les membres[1].

Lorsque Sicard vit ses voisins affaiblis, il songea à les soumettre. L’occasion était favorable. Vers ce même temps, le duc lombard avait rassemblé un corps de troupes avec lequel il se proposait de combattre les Sarrasins débarqués à Brindes. Ceux-ci s’étant précipitamment retirés, cette petite armée devenait inutile ; au lieu de la licencier, Sicard la dirigea, le plus secrètement possible, vers les confins du territoire d’Amalfi. Les citoyens, restés dans la ville, ne se tenaient pas sur leurs gardes ; tout à coup, au milieu de la nuit du 1er  mars 838, des cris d’alarme retentirent dans le voisinage des portes ; des paysans, accou-

  1. Chron. amalphit., cap. III. — Anonym. Salern., cap. LXIV.