Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/460

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
456
REVUE DES DEUX MONDES.

Qu’on ne juge pas la doctrine de M. Cieszkowski sur une analyse que nous sommes obligé de condenser en quelques lignes : qu’on étudie son livre, fort digne assurément de cette distinction, et on comprendra que son système assez hardi pour paraître inquiétant, ne manque pas absolument de solidité. Quelque conception analogue à la sienne est, à n’en pas douter, une des nécessités de l’avenir[1]. Malheureusement les théories économiques ne sont réalisables que lorsqu’elles ont pénétré dans la foule. La confiance publique ne se décrète pas par ordonnance : elle est l’œuvre du temps et de la routine plutôt que d’une intelligente conviction. Le gage matériel offert pour les billets à rente serait loin d’être pour les prêteurs un motif suffisant de sécurité. Les hypothèques sont en effet de peu de valeur contre un débiteur qu’il serait difficile de déposséder, et qui pourrait à la rigueur prononcer sa libération par un article de loi. L’expropriation fût-elle même possible, que la vente des biens saisis cesserait de l’être en raison de leur multiplicité et de la dépréciation de toutes choses dans une catastrophe universelle. Mais, dira-t-on peut-être, les rentes inscrites sur le grand-livre n’ont pas même ce genre de garantie spéciale, et leur seule caution est la loyauté publique. C’est pour cette raison, répondrons-nous, qu’il a fallu quarante ans pour porter nos fonds de 7 fr. pour 5 fr. de rente (cours de 1799) à 114 fr. (derniers cours). D’ailleurs un capital immense, remboursé avec des valeurs de fraîche date et déversé tout à coup dans la circulation, occasionne une secousse presque toujours fatale, et on ne peut penser sans effroi à ces grandes expéditions financières, où il suffit d’une erreur de tactique, d’une simple inadvertance, pour compromettre le sort d’un peuple. Nous ne sommes pas de ceux qui s’accroupissent dans l’ornière par crainte d’être entraînés en avant ; mais nous n’avons garde d’oublier que les innovations les plus désirables deviennent des calamités quand elles sont prématurées.

Il faut pourtant un procédé quelconque pour absorber le courant des dettes publiques, que le système des emprunts tend à gonfler sans cesse. Il en est un des plus expéditifs, et en grande faveur aujourd’hui dans le monde financier. C’est celui des conversions, qui consiste à obtenir du créancier l’abandon volontaire d’une partie des intérêts auxquels il a droit suivant les termes du contrat primitif. Le premier exemple de cette manœuvre fut donné par l’Angleterre en 1699, et répété depuis aussi souvent que les circonstances l’ont permis. Nous ne rappellerons ici que les quatre dernières conversions opérées de 1822 à 1834, et qui ont été conduites assez heureusement pour procurer une réduction de 2,355,845 livres sterling sur les intérêts (près de 59 millions de francs), sans augmenter sensiblement le capital. — De 1829 à 1835, la Prusse a converti avec bénéfice ses rentes à 5 pour 100, et abaissé le taux de sa dette provinciale de 4 à 3 1/2. — La Russie a entrepris de se libérer envers

  1. On peut considérer comme un essai de réalisation la société de l’Omnium, dont les bases ont été exposées par M. de La Mennais dans la Revue des Deux Mondes, livraison du 1er  septembre 1838.