Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
285
REVUE. — CHRONIQUE.

fût aux intérêts égyptiens l’opinion publique du pays, le gouvernement français n’avait pas refusé d’exiger de grands sacrifices du vainqueur provoqué de Nézib. Il occupait Adana, il devait le rendre ; les villes saintes, il devait les rendre ; Candie, il devait la rendre ; il devait restituer la flotte, payer un tribut, reconnaître formellement la suzeraineté de la Porte ; enfin, et ici on pourrait dire que la condescendance commençait à devenir excessive, le cabinet du 1er mars laissait entendre qu’il souscrirait à un arrangement qui, en donnant au pacha l’hérédité de l’Égypte, laisserait à ce vieillard l’administration viagère de la Syrie. Non, mille fois non, l’histoire ne voudra pas écrire, car cela paraîtra trop incroyable, trop absurde, que le cabinet anglais, au lieu de saisir au vol cette idée et de s’empresser de la réaliser, a préféré se séparer de la France, oublier son alliance, s’unir aux Russes, commencer en Orient une lutte odieuse et sanglante, compromettre la paix du monde, son industrie, son commerce, sa prospérité.

Enfin le memorandum met en lumière une dernière vérité qu’il est juste de faire remarquer. C’est M. Thiers, c’est le cabinet du 1er mars, qui a été le plus avant dans la voie des concessions et des expédiens, qui s’est montré disposé à ne laisser au pacha pour la Syrie qu’une possession viagère. En faisant cette remarque, nous n’entendons pas glorifier le cabinet. Nous serions assez enclins à trouver qu’il poussait la condescendance trop loin, qu’il faisait à l’alliance anglaise de trop larges concessions, qu’il ne résistait pas assez à l’entêtement de lord Ponsonby, aux caprices de lord Palmerston. C’est là une opinion, nous le reconnaissons, plus ou moins contestable. Mais ceux qui ne la partagent pas, ceux qui pensent qu’on ne risquait rien d’être injuste envers Méhémet-Ali, pourvu qu’on se pliât aux fantaisies du noble lord, de quel droit viendraient-ils dire aujourd’hui que c’est au cabinet du 1er mars, au cabinet qui s’est montré le plus accommodant et le plus flexible, que nous devons le traité du 15 juillet, l’affaiblissement de l’alliance anglo-française, et la possibilité d’une grande guerre ? Quoi ! parce qu’il n’a pas poussé la condescendance jusqu’à l’abaissement, la prudence jusqu’à la pusillanimité, on lui reprocherait d’avoir compromis les intérêts de la France ! Quoi ! parce qu’en présence du traité de Londres il ne s’est pas senti le cœur défaillir, parce qu’il s’est rappelé que la France est forte, qu’elle est grande, qu’elle est puissante, parce qu’il n’a pas cru qu’au coup de tonnerre elle dût imiter ces femmes effarées qui vont cacher leur terreur dans un coin du logis, parce que, acceptant avec dignité l’isolement qu’une politique insensée a voulu faire à la France, il s’est appliqué à l’armer et à la préparer à tout évènement, on l’accuserait d’avoir abusé de ses pouvoirs et de vouloir la guerre à tout prix ?

Mais si le memorandum explique et rectifie, les faits qui se passent en Orient exigeaient désormais plus que des rectifications et des explications. Aux violences du commodore Napier, aux sommations impérieuses, au langage provoquant des consuls de l’alliance, est venu se joindre un acte plus grave encore, la déchéance du vice-roi d’Égypte, prononcée par la Porte et suivie de la nomination d’un autre pacha. Qu’on ne nous dise pas que c’est là une témérité