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caprice peut impunément briser l’existence ? C’est cependant le vainqueur de Nézib, celui qui de son souffle avait dissipé l’armée du sultan, celui qui, prêt à franchir le Taurus, ne s’est arrêté que devant les conseils de l’Europe. S’il ne nous avait pas écoutés, s’il avait profité de la victoire, suivi la fortune, très probablement la Turquie serait, à l’heure qu’il est, égyptienne ou russe, très probablement l’Europe serait en feu, très probablement aussi la prospérité de l’Angleterre, quelle que soit sa puissance, en aurait reçu de graves atteintes. C’est à ce même homme qu’on dit aujourd’hui : Qui êtes-vous ? Un shériff, un préfet ? Qu’on vous destitue ou qu’on vous garde, peu importe ; c’est le droit du sultan !

Mais alors pourquoi intervenez-vous ? pourquoi idéalisez-vous la plus monstrueuse des interventions armées ? Si ce n’est que la querelle d’un prince avec un de ses employés, pourquoi accourez-vous ? Êtes-vous donc la maréchaussée du sultan ?

S’il s’agit au contraire de l’équilibre politique, de l’intégrité de l’empire ottoman, de la paix de l’Europe, et, comme on nous l’a dit, de régler les rapports entre le sultan et le pacha, c’est-à-dire entre deux puissances, ne nous parlez plus alors de fonctionnaire à conserver ou à destituer. C’est une pure argutie. S’il n’était qu’un préfet, un employé de la Porte, révocable ad nutum, rien de ce qui se passe ne serait arrivé. Le consul anglais aurait été le maître en Syrie, le maître en Égypte : on aurait épargné les frais d’une expédition les frais d’un bombardement. Les efforts du gouvernement anglais donnent un démenti formel aux paroles de son ministre.

Au surplus, la date de la note en explique la teneur. Lord Palmerston avait connaissance, en la rédigeant, des progrès de l’alliance en Syrie, et peut-être se flattait-il d’un succès plus prompt encore et plus décisif que celui qu’on a réellement obtenu.

Il faut bien le reconnaître, Ibrahim n’a pas opposé une résistance proportionnée aux forces et à l’énergie qu’on lui supposait. Aux premières nouvelles, on était presque tenté de se demander : Où est donc l’armée d’Ibrahim ? qu’est devenu le conquérant de la Morée, le vainqueur de Nézib ? Il y a eu là, pourquoi le dissimuler ? un mécompte, une supposition qui ne s’est pas réalisée, une de ces données hypothétiques sur lesquelles toute politique est obligée de s’appuyer. C’est un mécompte qu’on ne peut imputer à personne, pas plus au 1er mars qu’au 29 octobre. Le 1er mars a eu raison de croire à la résistance énergique du pacha ; le 29 octobre n’est pas responsable des faiblesses d’Ibrahim.

Au surplus, il y a eu, ce semble, mécompte pour tout le monde ; car si la résistance n’a pas été aussi énergique qu’on pouvait le supposer, la déroute n’est pas non plus aussi certaine et aussi complète qu’on le disait d’abord. Au fait, Ibrahim est toujours maître des pachaliks les plus importans de la Syrie ; Saint-Jean-d’Acre était encore en son pouvoir le 27 octobre ; il a conservé et concentré son armée. On nous dit aujourd’hui qu’on s’attendait à un engagement décisif entre Ibrahim-Pacha et le nouveau prince de la montagne, l’émir