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toire de Nézib, franchir le Taurus ! Cela ne convenait pas à l’Europe, à son équilibre politique, à ses intérêts ; soit : toujours est-il qu’il est inique de l’avoir arrêté pour le dépouiller ensuite, et de le payer, par une menace outre-cuidante de déchéance, du service qu’il a rendu, en s’arrêtant, à l’Europe entière.

Quoi qu’il en soit, la Syrie est perdue, dit-on, pour lui. Faut-il accepter ce fait ou lui résister ? C’est dire, faut-il faire la guerre pour arracher la Syrie aux Turcs et la rendre au pacha ? En mettant ensemble les trois ministères du 12 mai, du 1er  mars, du 29 octobre, nous sommes forcés d’en convenir, il ne se trouverait peut-être pas une voix pour une telle guerre. En tout cas, la chambre n’y donnerait pas son assentiment, bien entendu que la Syrie sera immédiatement remise à la Porte, à ses forces, à ses forces exclusivement ; et que, sous aucun prétexte, il n’y aura occupation territoriale d’aucune des puissances européennes.

Même dans ces termes, la France peut-elle accepter le fait, l’approuver, le sanctionner ? Non. Elle peut s’y résigner avec chagrin, comme à un fait qui ne la blesse pas assez pour la déterminer à la guerre. Que la commission de l’adresse nous permette de lui rappeler ce que le sentiment patriotique de chacun des hommes honorables qui la composent lui a sans doute dit avant nous : des faits entièrement contraires à ce qu’on a toujours désiré, on peut les souffrir lorsque la paix est encore compatible avec l’honneur ; mais on ne doit, en aucun cas, les accepter par entraînement, avec jubilation, avec la verve et l’élan des brillantes espérances et des grands succès.

Il se peut que la perte de la Syrie termine pour le moment la question d’Orient, que Méhémet-Ali rentre dans le pachalik héréditaire de l’Égypte, et qu’une sorte de paix s’établisse sur les débris fumans de la Syrie.

Nous disons, il se peut ; car d’un côté trop d’accidens imprévus ou à peine prévus peuvent compliquer la question, de l’autre nous n’avons nulle confiance dans les déclarations des signataires du traité du 15 juillet. Ceux qui ont caché à leur meilleur allié, à la France, la signature de ce traité, peuvent bien lui cacher autre chose. Il n’y a que justice à se méfier de ceux qui se sont rendus coupables à notre égard d’un aussi mauvais procédé. On ne doit pas jouir à la fois des avantages du bien et du mal, inspirer de la confiance à ceux qu’on a induits en erreur et blessés.

C’est dire en d’autres termes que désormais la question d’Orient pourrait bien ne plus laisser ni trêve ni repos à la politique européenne. La Turquie pourra-t-elle garder la Syrie sans le secours de troupes européennes ? Méhémet-Ali, battu et rabaissé, pourra-t-il garder l’Égypte ? Toujours en supposant qu’on ait l’intention sincère de la lui laisser.

Qui peut se réjouir en Russie de ce qui se passe en Orient ? Nicolas peut-être, dont les rancunes personnelles peuvent trouver une satisfaction dans la rupture de l’alliance anglo-française. Mais la nation russe peut-elle se réjouir ? Est-ce la Russie aujourd’hui qui protége la Porte ? Est-ce son pavillon qui flotte à Saint-Jean-d’Acre et à Beyrouth ? Est-ce sa puissance que les Orientaux ont appris à redouter ? En fait, au lieu d’avoir le protectorat exclusif, elle est