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ment, la liberté d’action ? Pourquoi, après avoir subi les inconvéniens d’une situation, en perdrions-nous les profits ? Et quelle utilité y aurait-il pour la France à venir ainsi tardivement, après coup, ajouter sa signature à celle des quatre puissances ? Il n’y aurait ni avantage ni dignité. Laissons faire, et sachons une fois nous confier au temps, aux évènemens et à cette force, à cette puissance que nul ne peut nous enlever. L’étranger n’a tenu aucun compte de notre dissentiment ; qu’il ne puisse pas du moins se targuer de notre adhésion. Il n’est qu’une hypothèse où la France pourrait la donner, mais cette hypothèse ne se réalisera pas ; car toutes ces négociations et toutes ces conventions ne sont au fond que les jalons que la Russie et l’Angleterre placent chacune sur leur route. Qu’on stipule formellement, par un traité solennel, européen, que l’empire ottoman est désormais un territoire absolument neutre, comme la Suisse, comme la Belgique, que sous aucun prétexte nulle force étrangère ne pourra y pénétrer, que toute atteinte à ce principe sera considéré ipso facto comme un casus belli européen, et alors peut-être nous aussi nous pourrions apposer notre signature au traité, l’y apposer avec avantage, surtout avec dignité.

Mais c’est assez insister sur un rêve. Ce n’est pas la neutralité et par là la conservation de l’empire ottoman qu’on veut ; on veut l’abaisser d’abord, l’envahir et le démembrer plus tard.

La seconde question nous paraît également simple et facile à résoudre. La France doit-elle désarmer ? Nous l’avons dit tout d’abord et avec bonne foi : entre les projets du 1er mars et ceux du 29 octobre il ne pouvait y avoir à nos yeux qu’une seule différence pratique et digne d’arrêter des esprits sincères et sérieux. Le 1er mars avait conçu un armement de près d’un million d’hommes en y comprenant trois cent mille gardes nationaux mobilisés ; c’était un système qui avait son principe, son but, un système qui, réalisé, amenait nécessairement d’honorables concessions à la France ou bien la guerre. On n’armait pas un million d’hommes comme pied de paix. Ce n’était pas la guerre certaine, à tout prix, c’était la guerre en perspective.

Nous avons compris sans peine que ce système, plausible avant les évènemens de la Syrie, c’est-à-dire pendant l’administration du 1er mars, pouvait paraître excessif, inutile, lorsque les évènemens sont venus, sans qu’on puisse en faire reproche à personne, modifier profondément la situation et mettre fin pour le moment à la lutte qui pouvait faire naître les incidens les plus graves. Nous avons compris qu’en cet état de choses, ce qu’il y avait de plus sage était de maintenir dans toute leur plénitude les armemens déjà ordonnancés, c’est-à-dire une flotte formidable et une armée au complet de près de 500 mille hommes. C’est là ce qu’on a appelé la paix armée ; c’est là le verdict que les chambres ont prononcé en délibérant leur adresse ; nous l’avons accepté avec respect comme étant le verdict du pays.

La France ne veut déclarer la guerre à personne, ni prendre capricieusement l’initiative d’un immense bouleversement. Elle ne veut donc qu’un pied de paix. Mais la France n’est aujourd’hui l’alliée de personne ; la France de