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ton, une ampleur de dessin qui semble, au premier abord, se rapprocher un peu du style académique ; mais plus on regarde et plus on reconnaît que, pour être animée, la pantomime n’en est pas moins toujours vraie, que les expressions comme les gestes sont d’une merveilleuse justesse, et qu’en un mot ce sont les mêmes qualités que dans ses autres ouvrages, avec plus de force dans le pinceau et une exécution plus terminée.

Lebrun fut piqué au jeu et voulut prendre sa revanche. Ses amis ne manquaient pas de lui dire que la palme lui était restée ; mais bien qu’avec la nature de son esprit et son genre de talent il ne dût pas avoir grande estime pour certaines perfections de son rival, il avait cependant le goût trop exercé pour ne pas sentir de quel côté était la victoire. Il demanda donc et obtint la faveur assez rare de peindre un second tableau du May, et deux ans après, le 1er mai 1651, il fit porter à Notre-Dame son Martyre de saint Étienne. On sait quelle fut l’immense réputation de ce tableau. Il fut décidé par les habiles que Lesueur pouvait être plus correct, mais que l’imagination, l’inspiration, le feu du génie appartenaient à Lebrun. On se gardait bien de lui demander compte de la pose plus que maniérée de ce Christ sur les nuages, des attitudes théâtrales de ces bourreaux posés en gladiateurs, de l’emphase déclamatoire de toute la composition, c’était précisément ce qu’on admirait comme le sublime du genre académique italien ; en un mot, Lebrun faisait ce qu’avait fait Vouet vingt ans auparavant, il nous apportait un composé de tout ce qu’on applaudissait alors à Rome et surtout à Bologne, car les Carrache avaient sa prédilection. Seulement, il avait de plus que Vouet une grande faculté de composition, une majesté naturelle de style, un pinceau riche et exercé, et le souvenir un peu effacé de quelques conseils du Poussin. Tel était l’homme qu’une sorte de prédestination appelait à régner sur les arts en France dès que Louis XIV aurait pris le gouvernement de l’état, tant il y avait d’harmonie et de concordance entre les facultés de l’artiste et les goûts du souverain.

Mais n’allons pas si vite, et revenons à Lesueur. À peine au sortir de cette lutte avec Lebrun, il était destiné à en soutenir une autre ; toutefois ce n’était plus dans le chœur d’une église ni sur des sujet sacrés que devait se vider ce nouveau défi. Un riche magistrat, M. Lambert de Thorigny, s’étant fait construire, sur le quai de l’île Notre-Dame, un hôtel, ou plutôt un petit palais, voulut le décorer à l’italienne, et, à l’exemple des Augustin Chigi et autres seigneurs romains, c’est à l’artiste le plus en vogue, c’est-à-dire à Lebrun, qu’il