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avenir inconnu et périlleux pour tous, rien qui porte atteinte à l’équilibre des états européens. »

N’est-ce pas, à l’identité des termes près, la conclusion du memorandum ? L’obscurité de l’avenir, le dévouement à la paix et la religion de l’équilibre, voilà, dans l’un comme dans l’autre document, les points principaux. Dans l’un et l’autre, le cas d’une atteinte portée à l’équilibre européen est posé comme un cas de guerre ; les puissances en ont facilement conclu que c’était le seul que notre politique eût prévu, et qu’on leur abandonnait l’Orient.

En rappelant ces souvenirs, je n’entends point rejeter sur l’ambassadeur la responsabilité qui appartenait au ministre. M. Guizot a donné des conseils très peu opportuns ; mais, malgré l’autorité que ces avis empruntaient à la position et au nom de M. Guizot, M. Thiers était libre de ne pas les suivre. Le chef d’un gouvernement couvre tous ses agens, et il n’est couvert par personne. Les fautes d’un ambassadeur sont aussi celles du ministre qui l’emploie ; mais les fautes du ministre, comme ses succès, n’appartiennent qu’à lui seul. C’est la gloire de l’initiative, mais c’en est aussi le péril.

À la lecture des pièces de cette longue négociation, l’on se demande plus d’une fois d’où vient que non-seulement le ton des notes officielles, mais encore celui des conversations de M. Guizot avec lord Palmerston, s’éloigne à un tel point de l’énergie que le président du 1er mars apporte dans ses communications personnelles avec les ambassadeurs. Ces différences très sensibles, et qui ont eu des conséquences très fâcheuses, ont tenu à la rivalité d’influence politique qui existait entre M. Guizot et M. Thiers. Celui-ci ne commandait pas assez pour un ministre, et celui-là n’obéissait pas assez pour un ambassadeur. Il n’y avait pas entre eux cette harmonie d’opinion qui fait que deux hommes concourent avec ardeur au même but. M. Guizot, à Londres, en face de lord Palmerston et en pleine question d’Orient, se considérait toujours comme le chef d’un parti puissant dans le parlement français ; il regardait non le dehors, mais le dedans ; sa lettre à M. de Broglie l’a bien montré. Il résultait de cet antagonisme tacite, que M. Thiers parlait à lord Granville comme devait parler le chef du centre gauche et l’allié de la gauche, tandis que M. Guizot s’expliquait avec lord Palmerston comme pouvait le faire le chef du centre droit. Quant aux dépêches officielles, je ne saurais y voir qu’un compromis entre les deux opinions.

Il ne faudrait pas cependant juger de l’attitude que M. Guizot a