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REVUE. — CHRONIQUE.

qu’une direction de second ordre, soit supprimé ; que tel autre, auquel on a trop pris, recouvre ce qu’il a perdu, et que chaque département ministériel, après avoir été organisé sur de meilleures bases, soit maintenu dans ses attributions, demandez aux chambres des majorités durables, et à l’opinion parlementaire des principes fermement établis.

Nous ne voulons pas finir cet examen sans parler de deux notices que M. d’Audiffret a placées, l’une à la fin du livre intitulé Système financier de la France, l’autre à la fin de son ouvrage sur le Budget. Ce sont des notices biographiques sur Colbert et sur le baron Louis. M. d’Audiffret donne, sur le baron Louis, des détails piquans qui font aimer le souvenir de ce ministre des temps difficiles, toujours appelé au trésor quand le trésor était vide, et toujours chargé de ranimer le crédit quand le crédit était épuisé. La bonne foi du baron Louis était toute sa politique. Il enrichissait le trésor en payant ses dettes : moyen très simple en apparence, mais le plus habile de tous. La sincérité du baron Louis allait souvent jusqu’à la brusquerie, et produisait des sorties d’une vivacité singulière. Assailli un jour par des solliciteurs, il ouvrit la porte de son cabinet et leur dit : « Que voulez-vous ? Vos conseils, je n’en ai que faire ; des dénonciations, je ne les écoute pas ; des places, je n’en ai qu’une à votre service, c’est la mienne : prenez-la si vous voulez. » Puis il ferma sa porte.

Le grand Colbert n’avait pas un accueil plus gracieux pour les solliciteurs. On sait que son aspect était rude, qu’il avait l’esprit peu orné, la prononciation difficile, une tenue austère, une sévérité inflexible. Un jour, Mme de Cornuel, le sollicitant vivement et ne recevant pas de réponse, fut forcée de lui dire : « Monseigneur, faites au moins signe que vous m’entendez ! » Mme de Sévigné raconte qu’elle épuisa, dans une circonstance, toutes les séductions de son esprit pour attirer sur son fils l’intérêt du ministre, et qu’elle n’obtint de lui que ces paroles : « Madame, j’en aurai soin. » Aussi, dit-elle, « quand on songe que c’est une affaire qui dépend de M. de Colbert, on tremble ! » Toute la cour tremblait en effet devant cette volonté énergique qui réprimait une foule d’abus, sauvait du pillage les fonds de l’état et organisait la société sur de nouvelles bases. Le génie de Colbert s’est appliqué à toutes les branches de l’administration. Il remit d’abord en vigueur les habitudes d’ordre et les règles de comptabilité oubliées depuis Sully. Il réforma ensuite le système des contributions, modéra les impôts, et ouvrit de nouvelles voies à la fortune publique par des règlemens sur les douanes, sur l’industrie et le commerce. Ses règlemens sont devenus nos meilleurs modèles.

Les principes de Colbert en matière de douanes sont aujourd’hui ceux de tous les économistes éclairés. Avec l’aisance de la nation, les revenus du trésor s’accrurent, et la France, dotée d’une marine, embellie et fortifiée par mille travaux utiles, fut policée par de nouveaux codes et immortalisée par les chefs-d’œuvre des arts, des sciences et des lettres. La guerre troubla souvent les opérations de Colbert, mais elle lui révéla les combinaisons du crédit. On