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l’année, il avait envoyé plusieurs fois à Cornélie des graines du jardin qu’il avait fait au collége ; Cornélie lui avait envoyé à son tour des graines de leur jardin, de sorte qu’ils cultivaient, admiraient, respiraient les mêmes fleurs.

Paul était d’un naturel timide, comme tous les gens fiers ; il frayait peu avec ses camarades, il lisait beaucoup, son imagination s’exaltait par la solitude et la lecture.

Bientôt il n’eut plus aucune nouvelle des compagnons de son enfance. Ernest alla passer six mois près d’un parent qui demeurait en province ; la correspondance fut interrompue et ne recommença pas ; d’ailleurs, ils commençaient à prendre d’autres intérêts dans la vie ; Paul était pour Ernest un excellent compagnon pour les jeux de l’enfance, qu’il méprisait souverainement maintenant qu’il aspirait à être un jeune homme ; ce n’est que vingt ans plus tard qu’on aime à parler des parties de balle et de toupie. Quand Paul sortit du collége, Mme Seeburg quitta la ville et alla se confiner dans une campagne avec une de ses amies, après avoir placé son fils chez un banquier.

Paul, au bout de quelques mois, se fâcha avec le banquier, et le quitta sans en prévenir sa mère. Il chercha long-temps une autre place, mais, d’hésitations en déceptions, il finit par entrer contre-basse dans un théâtre de la ville, où l’on jouait l’opéra et le ballet.

Or, la place de Paul à l’orchestre était, comme il arrive souvent aux contre-basses, tout près de la rampe qui était fort élevée, de sorte qu’il lui était absolument impossible de rien voir de ce qui se passait sur le théâtre. Il y avait deux ans qu’il y allait tous les soirs, et la seule chose qu’il eût jamais vue était les deux pieds de devant d’un cheval gris qui, dans Fernand Cortez, avait eu peur, et, s’élançant sur l’orchestre, avait brisé trois ou quatre quinquets avant qu’on pût le retenir.

Il vivait ainsi seul, calme, mélancolique, se réfugiant dans les rêves qu’on fait à vingt ans, amoureux fou, d’un amour auquel il ne manquait plus qu’un objet ou un prétexte.

Un jour, à la sortie du théâtre, il rencontra un grand jeune homme portant des lunettes et de gros favoris, qui lui dit : — Eh ! bonjour, Paul ; comment vas-tu ?

— Bien ; et toi ? répondit machinalement Seeburg.

Il ne reconnaissait nullement son interlocuteur, mais Paul aurait été si embarrassé et si malheureux que quelqu’un, auquel il aurait parlé en le tutoyant, ne sût pas son nom, qu’il n’osa causer ce chagrin