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ceux que représentent les établissemens de Chatelineau, de Couillet, de Selessin, de Seraing et d’Ougrée.

Dans un discours qui n’a eu que trop de retentissement, M. le comte d’Argout a fait de la Société générale une espèce de mammouth ou de banque monstre, ayant constamment à sa disposition 3 ou 400 millions[1] pour écraser l’industrie française. Il a rappelé de plus qu’en moins de cinq ans, du 1er janvier 1833 au 1er octobre 1838, cent dix-huit sociétés anonymes s’étaient établies en Belgique avec un capital nominal de 391 millions. L’auteur de l’écrit que nous avons déjà cité détruit d’un seul mot l’échafaudage de ces calculs. Il fait remarquer que M. d’Argout confond deux élémens très distincts, dont se compose le capital des sociétés. En effet, ce capital social comprend la valeur ancienne des établissemens qui existaient déjà, et les sommes qui leur ont été fournies pour se développer et se compléter. En France, dans le même laps de temps, la fièvre industrielle enfantait des sociétés par actions pour un capital de 700 millions ; mais il y avait cette différence entre les deux pays, que l’agiotage s’emparait généralement en Belgique des établissemens existans pour les mettre en valeur, tandis qu’en France il s’agissait plutôt d’entreprises nouvelles qui éclataient souvent en l’air, comme des bombes mal chargées, avant d’avoir atteint le but.

On sait bien que, si une lutte s’établissait entre l’industrie française et l’industrie belge, celle-ci ne trouverait plus, dans un crédit désormais épuisé, les ressources qui lui donnèrent en 1838 un vif et passager éclat. Nous en avons eu la preuve récemment, lorsque, dans le projet de former une compagnie pour l’exécution du chemin de fer entre Paris et la frontière belge, la Société générale n’a eu que ses fers à offrir pour tous capitaux. Mais on prétend que les usines, qui ont été créées pour produire plus que la Belgique ne peut consommer, n’auront pas besoin de nouveaux moyens d’action pour développer toute leur énergie. « La Belgique, dit M. d’Argout, voudrait à tout prix donner de l’activité aux forges et aux usines qui chôment ; elles ne pourraient arriver à un résultat sans qu’on leur livrât un marché de trente millions d’individus. » — « Les 70 millions engagés dans les forges belges, dit M. E. Flachat dans une lettre adressée au Courrier Français, n’ont pas d’autres conditions d’existence que d’écraser les forges actuelles (en France) et d’en empêcher de nouvelles. » Ce raisonnement suppose que la puissance de produire est sans limites, et que l’industrie n’a, comme les enchanteurs de nos légendes, qu’à frapper les objets de sa baguette pour en centupler les transformations, ou plutôt, suivant une expression de M. Flachat, que la fabrication est inépuisable comme la houille et le minerai.

Un accroissement subit de la production amène toujours une hausse désordonnée dans le prix vénal des produits. La puissance de la main d’œuvre est limitée dans tout pays par la force des moyens mécaniques et par l’étendue de la population. Si la demande du travail vient à excéder l’offre, les salaires

  1. Chambre des pairs, séance du 12 janvier 1842.