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l’arête saillante du sol, le haut de la digue interposée entre les deux océans, n’atteint pas au-dessus de leurs flots une élévation supérieure à celle qu’on sait faire franchir à un canal ordinaire au moyen d’écluses.

Ce n’est pas chose nouvelle que de s’occuper d’un passage de l’Océan Atlantique au Grand-Océan, des mers qui emplissent le vaste et profond chenal ménagé par la nature entre l’Europe et le continent américain à celles qui baignent de leurs flots les côtes de la Chine et du Japon et l’autre littoral de l’Amérique. Christophe Colomb, quand, sur ce vaisseau si long-temps sollicité, il s’embarqua pour l’expédition à jamais mémorable qui nous donna un nouveau monde, avait pour but de montrer aux hommes un passage plus facile vers la Chine. Jusqu’alors, la regardant comme située à l’orient, on jugeait qu’on devait s’y rendre en marchant de l’ouest à l’est. Colomb prit au contraire la route de l’est à l’ouest qu’il supposait plus courte[1]. Un monde ignoré jusqu’à lui se rencontra sur son chemin ! Après qu’il eut découvert ces terres inconnues, il crut avoir abordé aux îles de l’Asie dépendant du domaine du Grand-Khan, c’est le nom qu’on donnait à l’empereur de la Chine, et il est mort après ses quatre voyages dans la persuasion qu’il avait été en Asie. Cependant Colomb eut une vague connaissance de la mer que nous nommons l’Océan Pacifique et de sa proximité de l’Atlantique dans les parages voisins de Panama ; ce fut à son quatrième et dernier voyage, qui précéda sa mort de deux années, et pendant lequel il reconnut, sur une grande étendue, le continent américain le long de l’isthme lui-même et au-delà du côté du midi[2]. Les indigènes lui apprirent

  1. Ces deux opinions étaient fondées l’une et l’autre. La terre étant ronde, pour se rendre d’un point à un autre, on est également certain d’arriver en prenant à droite ou à gauche sur le grand cercle de la sphère tracé par ces deux points ; mais ces deux chemins ne sont pas également courts, et l’un peut être infiniment plus long que l’autre. Pour qu’ils fussent exactement égaux, il faudrait que les deux points se trouvassent aux extrémités d’un même diamètre sur ce grand cercle. Colomb, par une bien heureuse erreur, s’imaginait que le trajet serait moins long d’Europe en Chine en marchant de l’est à l’ouest qu’en prenant le tour de la terre à rebours, C’est-à-dire de l’ouest à l’est.
  2. L’expédition partit de Cadix le 11 mai 1502, et rentra le 7 novembre 1504. Colomb y découvrit la côte de l’isthme de Panama depuis Honduras jusqu’à l’Amérique du Sud, dont il reconnut une partie. Il mourut le 20 mai 1506. Les deux premiers voyages de Colomb l’avaient conduit à l’archipel des Antilles. Le troisième l’avait mené sur la Côte-Ferme, au Delta de l’Orénoque et sur la côte de Paria, et par conséquent loin de l’isthme ; il y avait pris terre le 1er  août 1498. C’était