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CHARLES NODIER.

La mort est à l’œuvre et frappe coup sur coup. Hier la tombe se fermait sur Casimir Delavigne, elle s’ouvre aujourd’hui pour Charles Nodier. La littérature contemporaine, qu’on dit si éparse et sans drapeau, ne se donne plus rendez-vous qu’à de funèbres convois. La mort de Charles Nodier n’a pas semblé moins prématurée que celle de Casimir Delavigne, et quoiqu’il eût passé le terme de soixante ans, ce qui est toujours un long âge pour une vie si remplie de pensées et d’émotions, on ne peut, quand on l’a connu, c’est-à-dire aimé, s’ôter de l’idée qu’il est mort jeune. C’est que Nodier l’était en effet ; une certaine jeunesse d’imagination et de poésie a revêtu jusqu’au bout chacune de ses paroles, chaque ligne échappée de lui ; le souffle léger ne l’a pas quitté un instant. Quand il n’était point brisé par la fatigue et succombant à la défaillance, il se relevait aussitôt et redevenait le Nodier de vingt ans par la verve, par le jeu de la physionomie et le geste, même par l’attitude. Il y a de ces organisations élancées et gracieuses qui ressemblent à un peuplier : on a dit de cet arbre qu’il a toujours l’air jeune, même quand il est vieux. Dans des vers charmans que les lecteurs de cette Revue n’ont certes pas oubliés, Alfred de Musset, répondant à des vers non moins aimables du vieux maître[1], lui disait, à propos de cette fraîcheur et presque de cette renaissance du talent :

Si jamais ta tête qui penche
Devient blanche,
Ce sera comme l’amandier,
Cher Nodier.

Ce qui le blanchit n’est pas l’âge
Ni l’orage ;
C’est la fraîche rosée en pleurs
Dans les fleurs.

Nous-même, nous n’avions pas attendu le jour fatal pour essayer de caractériser cette veine si abondante et si vive, cet esprit si souple et si coloré,

  1. Revue du 1er juillet et du 15 août 1843.