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royale, livrer la parole de la reine aux discussions passionnées des deux chambres ? Dans l’état où se trouvaient les esprits, il eût été sage, il eût été habile de réduire ce triste épisode aux simples proportions d’une crise ministérielle. C’est pour avoir méconnu le vrai caractère de cette situation que les chefs du parti modéré se trouvent engagés dans les embarras du moment. Le dernier acte de M. Olozaga était de ceux qu’on peut sans inconvénient déférer à l’opinion publique ; on connaissait les dispositions hostiles des chefs du parti progressiste à l’égard de l’ancien président du conseil ; on les eût contraints, par des avances positives, à blâmer énergiquement M. Olozaga ou à mettre tous les torts de leur côté.

Nous voici au 30 novembre, journée d’angoisses, où les chefs et les hommes influens des deux partis ne pouvaient faire un pas dont l’avenir de l’Espagne ne dût profondément se ressentir. On imagine sans peine l’agitation qui de toutes parts se produisait à Madrid. Les progressistes, dont la réunion générale était annoncée dès la veille, se rassemblèrent enfin chez M. Pascual Madoz. Repoussé du palais, tout meurtri encore d’une si terrible chute, M. Olozaga y comparut en personne ; il implora l’appui de M. Cortina et de tous ceux qui, deux jours auparavant, se proposaient d’en venir contre lui aux dernières hostilités. M. Olozaga se vit obligé d’apprendre à M. Cortina et à ses amis qu’il avait obtenu de la reine un décret de dissolution ; mais aux murmures d’étonnement qui d’abord s’élevèrent succéda bientôt une bruyante explosion de sympathies quand, après une sortie violente contre les corruptions et les intrigues de palais, il se donna, sans toutefois préciser la moindre accusation, comme victime d’un complot de camarilla. M. Olozaga ne dit pas un mot de sa dernière entrevue avec la reine ; il ne parla de la reine elle-même qu’en passant, et sur le ton du dédain. C’était, à l’entendre, une enfant capricieuse, tour à tour emportée et nonchalante, ennemie de toute sérieuse occupation, et dont il avait encouru le déplaisir par l’insistance qu’il avait mise à l’entretenir des affaires de l’état. Les membres de la réunion s’engagèrent tous à le défendre : un message conçu en termes vifs et pressans fut adressé à M. Pidal ; on exigeait de lui une convocation de la chambre des députés pour le lendemain, 1er décembre, au plus tard. Les progressistes commettaient une faute irréparable : ce n’était pas contre un ministère seulement ou contre une fraction du congrès, c’était contre la royauté elle-même que devait recommencer la guerre. Comment, dans un pays si profondément monarchique, M. Cortina et ses amis ne voyaient-ils pas qu’entreprendre une telle campagne, c’était jouer sur une chance désespérée l’avenir de tout leur parti ?

De son côté, Narvaez, toujours d’intelligence avec M. Serrano, se préparait activement à la lutte. Dès le matin, il était chez le ministre de la guerre, où vinrent bientôt le rejoindre le général Concha et MM. Gonzalès-Bravo, Ros de Olano et Patricio Escosura. À l’audience de la veille, et après avoir décrété la destitution de M. Olozaga, la reine avait chargé M. Serrano de former un nouveau ministère ; Narvaez le mit formellement en demeure de dresser