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l’empereur, que sa conscience répugnait à de telles injustices, que, du reste, il allait assembler son conseil, et qu’il lui ferait connaître ce qui aurait été résolu.

Les ministres furent d’avis que son altesse royale ne pouvait, sans se dégrader, accéder à toutes les demandes de la France. « Nous ne nous dissimulons point les conséquences d’une telle résolution, dit M. d’Araujo à M. de Rayneval ; mais l’honneur et le devoir passent avant tout. Il faut savoir supporter les inconvéniens attachés à une résolution noble, ferme et juste. Après tout, le Brésil est là, et la retraite est encore honorable. » M. de Rayneval réclama de nouveau et reçut cette fois ses passeports. Il partit le 1er octobre et retourna en France en passant par Madrid. L’empereur apprit avec un profond sentiment de joie que son représentant avait enfin quitté Lisbonne. Il était impatient d’une rupture qui lui donnât le droit d’envahir militairement toute la Péninsule et de prendre en main la direction suprême de cette vaste contrée.

Un des plus affligeans spectacles que présente l’histoire, c’est la dégénération lente, mais incessante, qui atteint et rabaisse au-dessous du niveau commun quelques-unes de ces grandes familles qui ont été autrefois l’honneur de leur siècle et de leur pays. Leur décadence se reconnaît à des signes infaillibles. Vainement on cherche dans leurs tristes rejetons ces qualités exquises et vigoureuses, cette noble et féconde essence qui ont illustré leur nom. Tout a disparu : on ne trouve plus que des ames appauvries et énervées, des esprits infirmes, obscurcis par l’ignorance et les préjugés, trop souvent par des vices qui sont la honte de l’humanité. Quand ces êtres dégénérés sont de race royale, ils deviennent des fléaux de Dieu, des causes de révolution, car ils font le malheur des peuples confiés à leur sceptre. Telle était la branche des Bourbons qui occupait en ce moment le trône des Espagnes.

Charles IV avait le cœur loyal et bon. Ses mœurs étaient pures, son jugement sain et droit ; mais il avait l’ame molle et pusillanime et l’esprit paresseux. Penser était pour lui une fatigue, vouloir un effort surnaturel. L’âge et les infirmités venant encore augmenter cet engourdissement moral, il avait fini par n’être plus capable de la moindre application. Sa mauvaise destinée lui donna pour épouse Maria-Luisa, fille du dernier duc de Parme. C’était une de ces femmes que, pour l’honneur de leur sexe, il faudrait condamner, dès leur plus tendre enfance, aux solitudes du cloître. Elle était artificieuse, violente, vindicative, dissolue dans ses mœurs, vulgaire d’esprit comme de cœur et surtout impérieuse. A peine eut-elle vu l’époux auquel elle était destinée, qu’elle se sentit un irrésistible besoin de le dominer. Elle y réussit sans peine. Charles IV était né pour le joug. Bientôt il n’osa plus ni