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soit étudiée et mise à jour, c’est un devoir pour tout publiciste, pour tout citoyen. Ce devoir nous l’avons accepté en ce qui nous concerne. Nous avons cherché à nous éclairer, non pas sur des malversations de subalternes qui ne laissent plus de traces quand la justice les a constatées et punies, mais sur les faits généraux et durables, sur les actes d’un intérêt public que tout le monde peut vérifier.

Pour bien apprécier l’état de l’Algérie, il faut, avant tout, se rendre compte des conditions dans lesquelles s’y trouve la propriété. Le droit des colons à la possession du sol découle de deux sources qu’il importe de distinguer, les achats faits aux indigènes, les concessions accordées à divers titres par le gouvernement français. Dans le bouleversement qui suivit la conquête, il y eut une fièvre de spéculations qui se communiqua des Européens aux indigènes. Qu’on se figure les brocanteurs chrétiens aux prises avec les Arabes et les Juifs ! Vente de biens imaginaires, exagérations de contenances, procurations frauduleuses, falsifications de titres, transmissions de biens inaliénables, tels furent les exploits des musulmans dans cette croisade d’un nouveau genre. Nous passerons sous silence les hauts faits des Occidentaux. Après dix années d’un tel commerce, tout le monde se trouva propriétaire ; personne ne possédait rien. La propriété rurale surtout se trouvait dans un tel état, que tout essai de colonisation eût été impossible. Il n’y eut plus qu’un cri pour que la lumière descendît dans le chaos.

Ce fut dans ces circonstances qu’intervint l’ordonnance du 1er octobre 1844, destinée à légitimer les transactions antérieures et à poser pour l’avenir les bases de la propriété. Les principaux motifs de nullité que les indigènes faisaient alors valoir pour invalider les contrats dont ils avaient à se repentir furent écartés. Ainsi l’irrégularité des procurations ne fut plus acceptée comme moyen d’annuler les actes. On admit seulement le recours des femmes, enfans ou absens contre ceux qui auraient agi frauduleusement en leur nom. Tout bail à rentes dont la durée n’avait pas été fixée par le contrat fut considéré comme perpétuel et emporta la transmission irrévocable de l’immeuble en litige ; l’acquéreur fut même autorisé à éteindre cette rente en remboursant une somme capitalisée suivant le taux courant de l’intérêt. On n’admit plus la revendication des biens religieux, qui, aux termes de la loi musulmane, sont considérés comme inaliénables. Ainsi fut terminée, d’une manière un peu violente peut-être, la guerre judiciaire qui se continuait entre les conquérans et les vaincus. Le passé étant liquidé, on s’occupa de l’avenir. Il fut convenu que, pour les ventes et transactions futures, on observerait les dispositions du code civil ; quant aux expropriations forcées, il fut déclaré qu’elles auraient lieu, non plus moyennant une rente, mais au prix d’un capital liquide, évalué par les tribunaux, avec toutes les garanties stipulées par la législation française.