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faire donner aux Druses des détails sur leur religion, j’employais simplement la formule semi-interrogative : Est-il vrai que ?… et je développais toutes les assertions de Niebuhr, de Volney et de Sacy. Le Druse secouait la tête avec la réserve prudente, des Orientaux, et me disait simplement : « Comment ? Cela est-il ainsi ?… Les chrétiens sont-ils aussi savans ?… De quelle manière a-t-on pu savoir cela ? » et autres phrases évasives.

Je vis bien qu’il n’y avait pas grand’chose de plus à en tirer pour cette fois. Notre conversation s’était faite en italien, qu’il parlait assez purement. Je lui demandai la permission de le revenir voir pour lui soumettre quelques fragmens d’une histoire du grand émir Fakardin dont je lui dis que je m’occupais. Je supposais que l’amour-propre national le conduirait du moins à rectifier les faits peu favorables à son peuple. Je ne me trompais pas. Il comprit peut-être que, dans une époque où l’Europe a tant d’influence sur la situation des peuples orientaux, il convenait d’abandonner un peu cette prétention à une doctrine secrète qui n’a pu résister à la pénétration de nos savans.

— Songez donc, lui dis-je, que nous possédons dans nos bibliothèques une centaine de vos manuscrits religieux qui tous ont été lus, traduits, commentés.

— Notre Seigneur est grand ! dit-il en soupirant.

Je crois bien qu’il me prit cette fois pour un missionnaire, mais il n’en marqua rien extérieurement, et m’engagea vivement à le revenir voir, puisque j’y trouvais quelque plaisir.

Je ne puis te donner qu’un résumé des entretiens que j’eus avec le cheik druse, et dans lesquels il voulut bien rectifier les idées que je m’étais formées de sa religion d’après des fragmens de livres arabes traduits au hasard et commentés par les savans de l’Europe. Autrefois ces choses étaient secrètes pour les étrangers, et les Druses cachaient leurs livres avec soin dans les lieux les plus retirés de leurs maisons et de leurs temples. C’est pendant les guerres qu’ils eurent à soutenir, soit contre les Turcs, soit contre les Maronites, qu’on parvint à réunir un grand nombre de ces manuscrits et à se faire une idée de l’ensemble du dogme ; mais il était impossible qu’une religion établie depuis huit siècles n’eût pas produit un fatras de dissertations contradictoires, œuvres des sectes diverses et des phases successives amenées par le temps. Certains écrivains y ont donc vu un monument des plus compliqués de l’extravagance humaine ; d’autres ont exalté le rapport qui existe entre la religion druse et la doctrine des initiations antiques. On a comparé les Druses successivement aux pythagoriciens, aux esséniens, aux gnostiques, et il semble aussi que les templiers, les rose-croix et les francs-maçons modernes leur aient emprunté beaucoup d’idées. On ne peut douter que les écrivains des croisades ne les aient confondus souvent