Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/506

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus sûre qu’elle sera plus patiente[1]. Dans ces derniers temps, la sollicitude des amis de la Grèce est devenue plus grande encore. Ils ont voulu étudier, compter, calculer toutes ses ressources. Un homme intelligent, sincèrement dévoué aux intérêts de la Grèce et possédant à fond la science économique, a examiné jusque dans ses derniers détails la situation actuelle du royaume. Son livre en apprend tout ce qu’il est possible d’en savoir aujourd’hui. Grace à M. Leconte, chacun peut voir où en sont les Hellènes, et mesurer à son aise le chemin qu’ils ont déjà fait. Ceux qui connaissent ces travaux et d’autres que nous ne citons pas, s’ils estimaient déjà la Grèce, ont dû l’estimer davantage encore. Malgré les difficultés de sa position, unique dans l’histoire des siècles, en dépit des obstacles qu’elle rencontre quelquefois au dedans, souvent au dehors, elle est, elle vit, elle marche ; mais, de tous ses progrès, le plus évident, le plus sensible, le plus propre à rassurer ceux qui redoutent pour elle les chances de l’avenir, c’est le progrès de l’instruction publique.

Déjà, en 1843, un savant qui a la faculté de voir vite et bien et de raconter avec art les choses qu’il a vues, M. Ampère, a tracé dans cette Revue[2] un tableau de l’instruction publique en Grèce. Après cette première étude, il reste encore à regarder de près les écoles d’Athènes et clés provinces, à exposer l’histoire de leurs antécédens et à indiquer le système qui a présidé à leur organisation. Devenu par le bienfait d’une institution libérale[3] comme l’un des habitans de ce beau pays, nous avons pu entreprendre cet intéressant examen. Depuis le voyage de M. Ampère, quatre années se sont écoulées, qui n’ont pas été les moins fécondes. Si pendant ce temps l’intelligence des Grecs a continué sa marche progressive, il n’est pas mal qu’on le sache. D’ailleurs, quand on voit la Grèce moderne, âgée de trois ans à peine, essayer d’organiser l’instruction publique à tous ses degrés, à une époque où la France discutait encore sa loi sur l’instruction primaire, on se demande comment, le lendemain de la lutte, les héros déposant leurs armes ont pu trouver des livres, des maîtres et des écoles pour eux-mêmes et pour leurs enfans. Cette question d’histoire contemporaine mérite qu’on y réponde. On n’a vu généralement dans cette race d’Hellènes combattant pendant sept années pour son indépendance que des marins hardis et expérimentés, des palikares intrépides. On s’est trompé : il y avait là des hommes déjà instruits ou capables de l’être. Déjà depuis long-temps les Hellènes étaient prêts non-seulement pour la vie militaire, mais aussi pour la vie intellectuelle. Plus d’un armatole avait étudié soit à l’école de Janina, soit aux couvens de l’Athos ou dans le monastère des Météores ; plus d’un soldat, la guerre achevée, a pu passer du camp dans la chaire du professeur.

Comment un peuple esclave de la Turquie pendant deux siècles et demi a-t-il pu ainsi conserver son caractère et sauver son intelligence ? La fortune, ou, pour mieux parler, la Providence, n’a fait pour lui, depuis la prise de Constantinople par Mahomet II, que ce qu’elle avait déjà fait depuis la réduction de la Grèce en

  1. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 15 octobre 1844, l’étude de M. Duvergier de Hauranne sur la situation de ta Grèce et son avenir.
  2. Voyez la livraison du 1er avril 1843.
  3. L’école française d’Athènes, fondée par ordonnance royale en date du 12 septembre 1846, sur un rapport de M. de Salvandy, ministre de l’instruction publique.