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C’est là le point. Les avocats des classes ouvrières nous l’ont indiqué ; ils n’ont pas fait appel à nos cœurs ; ils ne voulaient de nous que notre argent, et la main brutale de l’état pour le prendre et le distribuer. Leurs moyens sont jugés ; mais le principe de la charité ; comme devoir public, subsiste.

La charité sera publique par l’association. Que les secours viennent directement de ceux qui ont à ceux qui n’ont pas, sans passer par la main de l’état, ils seront plus fraternels. N’attendons pas la loi : la loi prendrait ce que nous aurions donné, et nous ôterait le mérite du sacrifice. N’y a-t-il pas des institutions à fonder, des avances sans intérêts ou des dons à faire aux communes pour créer du travail dans les temps de gêne, des caisses où, par une première dotation provenant de dons ; on attirerait les économies de l’ouvrier ? Que sais-je ? Où il y a tant à donner, manquerait-il donc des moyens de donner ? Enfin songeons-y, si nous voulons rester libres : cette question des petits contient l’anarchie ou le despotisme. Je sais qu’il faut se défier des analogies historiques ; mais comment lire sans inquiétude, dans ce même Tacite, que ce qui a gagné le peuple au despotisme d’Auguste, ce qui l’a rendu obéissant sous Tibère, ce qui l’a passionné pour Néron, c’est le soin que ces princes ont eu de sa subsistance, c’est l’annone, annona, annonœ cura ? Le despotisme impérial est sorti de la question des subsistances populaires. Sans doute nous valons mieux que les Romains, nos ouvriers ne seraient pas gens à vendre, même pour du pain, les libertés de leur pays ; mais craignons que nos fautes ne suscitent et ne justifient quelque ambition nouvelle à qui viendrait l’idée de proposer au peuple ce marché. La liberté n’a-t-elle donc à craindre que des Tibère et des Néron ?


NISARD.