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À la fin, c’te pauv’ bête,
Mironton, mironton, mirontaine,
À la fin, c’te pauv’ bête
A trépassé sous lui : (Ter.)

Je m’arrête, et sachez-m’en un peu de gré, car la complainte a soixante-quinze couplets. Ce que nous en avons cité aura suffi pour donner une idée de ces mille chansons improvisées par nos soldats pendant les longues marches d’Afrique.

De halte en halte, la colonne était arrivée au lieu du bivouac, près du pont de pierre construit sur le Chéliff par les soins d’Omar-Pacha, et comme toujours, la cité improvisée s’établit avec une promptitude admirable. Le général avait rapidement désigné au chef d’état-major l’emplacement des différens bataillons d’après l’ordre de marche du lendemain, puis il avait mis pied à terre, tandis que le capitaine Pourcet indiquait cet ordre aux chefs de corps. D’après les recommandations expresses du général, sans perdre de temps en manœuvres inutiles, dès qu’une compagnie était arrivée sur l’alignement, elle formait ses faisceaux et quittait ses sacs. Aussitôt chacun de courir ramasser le bois, chercher le feu, allumer le feu, dresser les petites tentes, tous ces mille riens dont on ne comprend la valeur que lorsqu’il faut se suffire à soi-même et débrouiller sa vie de chaque jour, selon l’expression du soldat. Bien dormir, bien manger, ce sont en effet les deux choses importantes à la guerre ; car, avec une troupe nourrie et reposée, il n’y a rien qu’on ne puisse entreprendre. Le plus grand des philosophe, Sancho Pança, a dit : « L’homme ne fait pas son ventre, mais le ventre fait l’homme. C’était l’avis du général Changarnier. Aussi s’efforçait-il d’éviter aux soldats toute fatigue jamais il ne quittait le bivouac que la soupe ne fût mangée.

Dans la nuit, nous eûmes une alerte ; si nous étions en pays ami, nos amis n’en étaient pas moins de francs voleurs : deux chevaux furent enlevés. Selon leur coutume en pareille occasion, de hardis compagnons, nus comme vers, le corps enduit de graisse, afin de glisser dans la main de ceux qui voudraient les retenir, se coulèrent entre les tentes, rampant comme des serpens. Arrivés près de deux beaux chevaux, ils coupent les entraves, sautent sur la bête et partent à fond de train, franchissant tous les obstacles, courbés sur l’encolure, afin d’éviter les balles des sentinelles, avancées. Un autre de ces voleurs, quelques heures plus tard, fut moins heureux. Le factionnaire de garde aux faisceaux remarqua sur sa droite, tout se promenant de long en large, un buisson de palmiers nains. L’instant d’après ; le buisson avait changé de place ; il se trouvait à gauche. Aussitôt le factionnaire se dit : « Il y a là-dessous un méchant tour. »