Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et, sans parler, bien sournoisement, tout en ayant l’air de flaner, il arme son fusil et continue sa promenade Le buisson remuait, remuait tout doucement, gagnait peu à peu du terrain tout à coup il se dresse, se rapproche, et un Kabyle saute sur le soldat, le poignard à la main ; mais celui-ci lui envoie sa baïonnette dans le ventre. Le coup fut mortel, et le buisson vivant ne se releva plus.

Tels furent les petits événemens de la nuit. Le lendemain, à la diane, la musique du 58e jouait un gai réveil, et, après avoir toussé un peu, après avoir chasse, à l’aide d’un coup d’eau-de-vie, ce brouillard du matin que les militaires, j’en demande bien pardon, appellent du triste nom de pituite, chacun reprenait son rang et se mettait en marche, suivant, comme la veille, la vallée du Chéliff. Le soir, on arrêta à l’Oued-Rouina ; à la nuit, l’ordre fût donné à la cavalerie de se tenir prête, et, vers deux heures du matin, on rompait les rangs, en silence, sans sonnerie, suivi de deux bataillons sans sac. Chaque troupe avait son guide, et, le général en tête, nous partîmes pour surprendre les Berkanis. Au jour, nous étions arrivés sur un petit plateau, entre deux collines. À nos pieds s’étendait une ravine boisée, profonde, difficile ; de l’autre côté s’élevaient les cabanes des Kabyles au milieu de grands oliviers et de noyers aux larges feuilles. Leurs coups de fusil ne nous avertirent que du peu de succès de notre entreprise. Tous les personnages importans du village avaient pris la fuite. On mit aussitôt pied à terre par ordre du général. Les chasseurs occupèrent les deux pitons et échangèrent des coups de fusil avec l’ennemi en attendant que l’infanterie nous eût rejoints. M. de Carayon-Latour et un de nos camarades possédaient deux petites carabines qui portaient à des distances énormes : on les chargea, les paris s’engagèrent, et ce fut à qui ferait preuve d’adresse à ce nouveau tir aux pigeons ; mais ici nos pigeons étaient des Kabyles, armés de longs fusils, qui nous visaient fort bien à leur tour et surent trouer nos cabans, malgré les gros arbres derrière lesquels nous nous abritions. Cela redoublait nos joies et nos rires, car, somme toute, nous leur avions déjà tué du monde, quand les chasseurs d’Orléans arrivèrent. Ils valaient mieux que nous pour cette besogne ; aussi, dès les premières balles, tous les Kabyles se hâtèrent de se dérober à leurs coups. Le soir, nous étions rentrés au bivouac, et le lendemain la cavalerie retournait à Milianah, tandis que notre tête de colonne s’engageait dans la vallée de l’Oued-Rouina. Quelques heures après, les mauvais chemins de l’Ouar-Senis commençaient. Un par un, mulet par mulet, les soldats et le convoi s’avançaient dans ces étroits sentiers qui montaient constamment, s’accrochant, à travers les pins maritimes, sur le flanc des montagnes. Les mauvaises heures arrivaient aussi pour l’infanterie, car, à droite et à gauche du convoi, des bataillons étaient