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de soi. Aussi les Anglais n’ont-ils pas de corps du contrôle. Ils ont d’abord pensé que toute personne exposée à la corruption devait être très largement rétribuée. C’est ainsi que ceux de leurs employés qui ont des marchés à traiter, qui ont un vaste maniement de matériel, sont très fortement payés, dans une proportion quelquefois quintuple de celle qui est adoptée chez nous. C’est faire sagement la part de la faiblesse humaine. De plus, ce système garantit contre les soupçons, et le gouvernement, qui y gagne en considération tout aussi bien que les employés, mieux payés et plus disciplinés, sont moins accessibles à la corruption, mais de plus parce qu’ils ont confiance dans ces employés, et qu’ils jugent par conséquent superflu de mettre derrière eux des surveillans. En France, par suite d’un principe opposé, d’une grande économie sur les appointemens, nous sommes arrivés, et nous y mettons d’ailleurs une grande exagération, à douter de tous nos employés, et nous sommes obligés, chose inouie, d’en préposer d’autres à les surveiller.

Notre administration, il faut en convenir, a un défaut inhérent au caractère français : elle est un peu tracassière, elle veut qu’on l’entende ; mais elle se laissait oublier, à quelles infractions ses règles ne seraient-elles pas exposées ! Que d’imprécations la lenteur obligée de son action n’a-t-elle pas soulevées parmi les administrés ! Et cependant cette lenteur n’avait d’autre cause que les formalités réglementaires, et les formalités réglementaires n’étaient commandées que par les exigences du principe dominant : se rendre compte. L’administration entrave souvent l’action, c’est vrai ; mais c’est une nécessité : pourrait-on se rendre compte, si l’action passait outre aux règles de l’administration ? On a encore cité Colbert ; mais Colbert s’est presque exclusivement occupé de l’administration aux dépens de l’action : il n’a jamais souffert qu’on passât outre à ses règles, et il n’a cessé de proclamer que la marine devait être dirigée par des administrateurs. C’est lui le premier, et c’est un de ses titres de gloire, qui a créé cette administration qui n’a fait que s’accroître, parce que le matériel et les besoins se sont accrus et modifiés. Un vaisseau armé de 1670 ne ressemblait guère, je pense, à un vaisseau armé de 1849, et il n’y avait point alors de chambre et de commissions du budget. — A-t-on jamais su en réalité ce que coûtait un vaisseau à cette époque, où les dépenses n’étaient pas publiquement examinées ? Quand on voulait un vaisseau, une flotte, on avait un vaisseau, une flotte ; on disait même : « Je veux un vaisseau, une flotte dans un mois ; » on avait un vaisseau, une flotte dans un mois. Rien n’arrêtait alors. On ne savait pas ce que cela devait coûter ; mais on n’avait pas besoin de le savoir. Il fallait le résultat, on l’avait. Les