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guerre anglais et français, il y a deux points qu’il faut faire entrer en ligne de compte, pour pouvoir établir une saine distinction : la supériorité de la discipline des Anglais et la supériorité de leur force musculaire. Nous ne pouvons envier la première ; elle n’est que factice, car elle n’est obtenue qu’à la suite de traitemens souvent cruels, de flagellations réitérées qui répugnent violemment à nos habitudes et à nos sentimens. Malgré ces modes énergiques de répression cependant, les exemples de grave insubordination sont bien plus fréquens chez eux que chez nous. Aussi a-t-il été publiquement proclamé en Angleterre que ce genre de punition était indispensable. En France, bien avant décret du gouvernement provisoire qui abolissait les coups de corde, on n’en usait que dans les cas extrêmes et avec la plus grande réserve. Les voleurs seuls n’étaient pas ménagés. Depuis le décret, les équipages font eux-mêmes justice des voleurs, et la discipline ne paraît pas avoir souffert de l’abolition de cette peine, qui était déjà presque abolie en fait. Pour ceux qui voulaient jouer à la tribune un rôle populaire, c’eût été pourtant un brillant, noble et juste texte que de proclamer devant toute la France la docile valeur de nos matelots.

Si on traduisait en chiffres la moyenne de la force corporelle des Anglais relativement à celle des Français, on la trouverait dans la proportion de 5 à 4. Il en résulte que, bien que nos équipages soient un peu supérieurs en nombre à ceux des Anglais, ce qu’on nous reproche sans cesse, ceux-ci représentent une plus grande force musculaire que les nôtres et, la proportion entre les équipages des deux nations étant comme 8 est à 9, la supériorité de force reste encore aux Anglais. Cette différence de force musculaire est bien plus sensible encore à bord des bâtimens de commerce. Elle oblige nos navires à avoir des équipages plus nombreux que ceux de tous les états septentrionaux. C’est une des causes du prix élevé du fret dans notre marine marchande, et par conséquent une des causes de sa décroissance. Si l’enquête étend ses travaux jusqu’à la marine du commerce, elle ne pourra manquer de tenir compte de cette considération.

Non-seulement on a prétendu que les équipages étaient désorganisés, on a ajouté que, les matelots manquant, on ne pouvait pas les compléter. Il fallait dire qu’on ne le voulait pas. On ne le voulait pas, parce qu’on était forcé de se renfermer dans un certain chiffre, et que les levées ne devaient se faire qu’en conséquence. La pépinière de matelots est toujours féconde, malheureusement trop féconde, car cette fécondité a pour cause la stagnation où le commerce s’est vu jeté par les déplorables événemens que nous avons traversés. On a même dû suspendre l’incorporation dans la marine des hommes du recrutement, afin de pouvoir donner de l’emploi à un plus grand