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expérimentale ; elle démontre la théorie de la balance, et pour ce faire elle place dans un des plateaux une couronne, dans l’autre un tuyau de pipe. Seulement la rusée ne tient pas la balance par le fléau, mais bien par la languette. Vous voyez bien, dit-elle, le poids est égal Qu’est-ce qu’une couronne ? Moins qu’un tuyau de pipe. Tous applaudissent rient et crient : Voilà l’homme qu’il nous faut : cependant une pauvre aveugle s’enfuit en entendant ces cris - Ah ! toi, femme aveugle, s’écrie le poète, pourquoi fuis-tu ? Y verrais-tu plus clair que les autres ?

Puis, soudain, voilà que les flots populaires ont, porté le terrible faucheur à l’Hôtel-de-Ville. Du haut des degrés, il remet au peuple l’épée de la justice et lui dit : Désormais tu es roi. Et cependant voilà que deux mois après il combat encore pour sa souveraineté. Les barricades, se sont élevées, le drapeau rouge est déployé, les hommes tombent. Seule la mort est à l’abri des balles. Ah ! comme elle est fière et ironique avec son aspect de capitaine Fracasse, son chapeau sur l’oreille, son attitude de spadassin, les poings appuyés sur la hanche, comme Robert Macaire dans l’Auberge des Adrets ! Mais maintenant tout est fini, des maisons brûlent, des enfans pleurent ; des malheureux en proie à l’agonie, lèvent la tête vers le compagnon, qui rit et dit : Je suis la mort ! De quoi donc te plains-tu ? Tu voulais être roi, te voilà citoyen de mon obscur empire, je ne demande pas à être ta reine. Frère, maintenant, tu es égal à moi. — Pendant ce temps le cheval du compagnon foule sous ses pieds les cadavres, et lèche le sang qui coule des blessures.

Il y a une phrase de Bichat qui m’est revenue perpétuellement à l’esprit pendant que je contemplais ces gravures, c’est cette terrible définition par laquelle s’ouvre le fameux livre des Recherches physiologiques sur la vie et la mort : « La vie, c’est l’ensemble des phénomènes qui luttent contre la mort. » Cette phrase m’a toujours épouvanté à cause des conséquences morales qu’on en peut tirer. Que veut-elle dire après tout ? Que la mort est antérieure à la vie, qu’elle lui est postérieure, que le seul permanent, comme disent les Allemands, c’est la mort ? Est-ce qu’à cette parole une vision dramatique, bien qu’elle soit entièrement métaphysique, ne s’empare pas de vous ? Est-ce que vous n’apercevez pas la mort qui vous entoure de toutes parts, qui vous presse, qui vous harcèle de tous les côtés ? La mort apparaît alors comme la seule réalité, et la vie n’est plus que comme une petite pointe de terre submergée par des flots qui montent toujours. Quel qu’il en soit, depuis le 24 février, la vie de la France ; la vie sociale, n’est plus qu’un ensemble de phénomènes qui luttent contre la mort. Toute la politique consiste dans la résistance à la mort ; il s’agit de sombrer, ou de se sauver. M. Rethel nous a montré la mort venant chercher