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de gouvernement à M. Ledru-Rollin ? N’en parlez pas si lestement, je vous prie ; M. Raginel est le père et l’auteur de la république de 1848. C’est lui qui l’a proclamée. Il nous semblait que dernièrement M. Crémieux, à la tribune, déclarait que c’était lui. M. Crémieux qui avait proclamé la république. Il y a là entre M. Crémieux et le citoyen Raginel une question de propriété littéraire, que nous ne sommes pas compétens pour décider. Voyons cependant les titres que fait valoir M. Raginel.

« Le 24, en entrant aux Tuileries, ma première pensée fut de trancher, par un acte décisif, les questions qui s’agitaient à la chambre des députés. (La régence.)

« Je montai sur un meuble dans la salle des maréchaux, je demandai au peuple un instant de silence et l’obtins ; je proposai de brûler à l’instant le trône sur la place de la Bastille, et, pour la première fois depuis le commencement du combat, je criai : Vive la république ! Cette proposition fut accueillie par des bravos qui ébranlèrent la salle et accompagnée d’une décharge de mousqueterie, le trône partit pour la Bastille, et moi je me rendis à l’Hôtel-de-Ville.

« Le lendemain 25, aidé par l’énergique citoyen X…, je m’opposai, en les déchirant, à ce que l’on répandît parmi le peuple les proclamations émanant du gouvernement provisoire et ayant pour en-tête seulement : Au nom du peuple français ! J voyais dans cette formule peu décisive une hésitation, une défection au mandat du peuple ; après notre insistance sortirent les premières proclamations ayant en tête : République française, liberté, égalité, fraternité.

« Pas un drapeau officiel n’était encore arboré ; des bandes de velours rouge, provenant des banquettes des salles, flottaient seules au bout de bâtons aux fenêtres de l’Hôtel-de-Ville.

« Le peuple mugissait sur la place, comme une effroyable tempête, en demandant un drapeau. Je parvins jusqu’à M. de Lamartine, et, devant une foule nombreuse, je lui dis qu’il fallait qu’un drapeau officiel fût arboré : il me donna l’ordre de le faire exécuter tricolore[1]. Lorsque je lui demandai ce qui le distinguerait de celui de Louis-Philippe, il me dit d’y faire inscrire République française, liberté, égalité, fraternité, et de l’arborer immédiatement »

Nous nous sommes laissé aller à ces citations sur l’origine de la république de 1848, parce que rien ne doit être négligé de ce qui caractérise l’histoire du temps. Nous nous hâtons de revenir aux doctrines que répandent les almanachs, afin que nos amis voient si c’est le moment de nous livrer à nos mauvaises humeurs les uns contre les autres ; quand nous sommes tous si violemment attaqués, quand la société est sans cesse battue en brèche, quand toutes les classes sont instruites à se haïr et à se détester, quand l’armée elle-même est représentée comme impatiente de secouer le joug, et qu’on promet aux soldats, s’ils veulent venir à la démagogie :

  1. « Je certifie avoir donné, en février 1848, ordre au citoyen Raginel de faire exécuter le premier drapeau tricolore portant ces mots : République française, liberté, égalité, fraternité, ainsi que l’ordre d’arborer ce drapeau à l’Hôtel-de-Ville de Paris.