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par le pied de vos soldats. » Partout les tribus reconnaissaient notre autorité, et la tranquillité semblait enfin devoir régner dans tout le pays. Des circonstances imprévues forcèrent alors le général à demander sa rentrée en France. Je me rappelle encore que dans notre route de Milianah à Alger les chefs arabes vinrent le saluer à son passage, et parmi eux je retrouvai un vieux caïd des Hadjoutes que j’avais déjà rencontré à Blidah. Nous parlions de ces nombreuses razzias de ces coups de main de chaque nuit qui avaient réduit sa tribu guerrière. « Son nom, parmi nous, me disait-il en parlant du général veut dire l’abatteur d’orgueil, le dompteur d’ennemis[1] et il a justifié son nom. » Me montrant alors la longue ligne de montagnes qui borde la Mitidja du Chenouan à la mer : « Quand vient l’orage, reprit-il, l’éclair court en une seconde sur toutes ces montagnes, en sonde les replis. C’était ainsi de son regard pour nous trouver. Quand il nous avait vus, la balle n’atteint pas plus vite le but. » Et le vieux chef arabe disait bien. Le signe, en effet, qui distingue entre tous le général Changarnier ; c’est un jugement rapide et sûr, une indomptable énergie ; il sait commander. Vis-à-vis d’un péril, son courage augmente ; alors, si vous l’approchez, sa vigueur vous gagne, et vous ne doutez plus du succès. La première fois où il rendit témoignage de lui-même, ce fut à Constantine, et depuis lors il n’a pas manqué un seul jour à cette réputation qui venait d’éclater si glorieuse. Si jamais vous vous trouvez au bivouac avec une de ces vieilles bandes d’Afrique, sous la petite tente du soldat, laissez-vous raconter les courses nombreuses qu’elles ont faites avec lui, et vous verrez qu’elles seront leurs paroles.

L’heure du départ était arrivée. Le général allait s’embarquer pour la France. Nous l’accompagnâmes jusqu’à bord ; nous ne pouvions nous décider à regagner la terre. Déjà le brave Martiningue, le pilote d’Alger, nous avait avertis qu’il était temps de descendre dans le canot ; alors nous prîmes dans nos mains la main du général, puis nous le saluâmes une dernière fois en nous éloignant, pendant que son navire rapide disparaissait dans la brume.


PIERRE DE CASTELLANE.

  1. Les Arabes appelaient le général Changarnier le Changarli, le Changarlo, Changar est une racine arabe qui veut dire dompter, abattre. Ma changareh alina, ne m’abats pas, ne m’écrase pas.