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« La constitution est allée à Berlin comme la fiancée au-devant de l’époux, et on l’a congédiée comme une servante. » Seulement, ici, ce n’était plus le roi de Prusse, c’était le père de la fiancée, c’était ce malheureux parlement de Francfort qui condamnait sa fille à tant de ridicules affronts. Les conclusions de la minorité étaient bien autrement graves. La minorité, c’est-à-dire l’extrême gauche, destituait Frédéric-Guillaume IV et le remplaçait par un vicaire de l’empire, lequel pouvait être le premier Allemand venu, M. Vogt ou M. Rayeaux, M. Hecker ou M. Struve. La minorité proposait encore un appel aux armes adressé a tous les peuples de l’Allemagne, elle voulait que l’armée fut obligée de prêter serment à la constitution ; elle voulait que toutes les chambres dissoutes, les chambres de Berlin, de Hanovre, de Dresde, fussent invitées à se réunir, en quelque lieu que ce fût ; elle voulait enfin que le ministère déclarât la guerre à la Russie : et à l’Autriche. Toutes ces extravagantes propositions furent rejetées, mais quelques-unes d’entre elles obtinrent jusqu’à 35 voix. À chaque rejet, c’étaient d’épouvantables scènes : « Allemagne sans cœur ! pays de lâcheté ! » s’écriaient les démagogues, et à ces vociférations de la gauche se mêlaient les grognemens furieux des galeries. Il y avait de quoi frémir en voyant la majorité faire tant de sacrifices à l’esprit révolutionnaire, et cette minorité furieuse exiger toujours de plus violentes folies. Le ministère ne s’était pas opposé aux conclusions de la majorité ; M. de Beckerath, l’un des hommes éminens du cabinet et l’une des gloires de l’assemblée nationale, refusa de s’associer à la faiblesse de ses collègues ; il déposa son portefeuille le soir même et se retira du parlement.

Ces entreprises insensées du comité des trente avaient chaque jour leur contre-coup au sein des populations soulevées. L’émeute de Stuttgart n’était que le début d’une vaste insurrection dont le plan embrassait toute l’Allemagne. La veille même de cette séance que je viens de décrire, le 3 mai, vers le milieu, de la journée, la ville de Dresde se hérissait de barricades. La garde nationale donna elle-même l’occasion et le signal de la lutte, car la cause de la constitution impériale aveuglait décidément bon nombre d’esprits honnêtes, et le drapeau rouge, noir et or fournissait un abri commode pour confondre les patriotes et les factieux. Le combat parut se terminer le 4 mai dans la soirée ; la troupe consentit à un armistice, tout en occupant encore une, grande partie de la ville. Le roi, obligé de prendre la fuite, avait cherché un refuge dans la forteresse de Kœnigstein. Un gouvernement provisoire s’organisa aussitôt, composé des trois meneurs les plus ardens de la démagogie. Pour donner à ce gouvernement la consécration du vote populaire, on suivit l’exemple du 24 février à Paris ; les noms des tribuns furent proclamés du haut du balcon du palais, et les acclamations ou les grognemens firent connaître la volonté des carrefours.