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se résume dans ces mots : « Non seulement Dieu n’est pas, mais le genre humain lui-même n’est qu’une idole menteuse, et le dévouement à l’humanité une capucinade. Je suis seul dans ce monde ; seul j’existe ; ma jouissance, mon pouvoir, ma liberté, ne peuvent être limités par aucune croyance, par aucune règle, par aucun droit étranger à mon droit. » Cet homme (on l’appelle Max Stirner) est le docteur des démagogues du nord[1]. « Sachez-le bien, écrivait M. Henri Heine il y a une quinzaine d’années, le jour où se fera la révolution allemande, on verra que la révolution française n’a été qu’une églogue». C’est cette révolution-là qu’en préparait à Dresde. On aurait vu assurément, sous la dictature de ces furieux, certaines choses dont le monde n’avait encore aucune idée ; puis seraient venus les Cosaques, et la liberté aurait péri deux fois. Grace au ciel, ces journées de Dresde, qui pouvaient être le triomphe de la démagogie septentrionale, furent le commencement de sa déroute. Il fallut, il est vrai, les efforts réunis de la Prusse et de la Saxe pour étouffer l’insurrection, et, le matin même de leur défaite, les triumvirs faisaient fusiller, dans les rues de la ville, tous ceux qui parlaient de concorde. C’est le 9 mai seulement que le drapeau rouge fut abattu ; cette affreuse bataille avait duré six jours.

Revenons à l’église Saint-Paul : aussi bien ce n’est pas changer de sujet ; les fureurs qui se déchaînaient à Dresde déshonoraient aussi les dernières séances du parlement de Francfort. L’extrême gauche n’avait pas renoncé à ses propositions du 4 mai ; elle voulait surtout que l’armée reçût l’ordre de prêter serment à la constitution de l’empire. Au milieu du bouleversement de l’Allemagne, en présence des émeutes de Stuttgart, de Dresde, de Leipzig, si l’on voulait décréter l’anarchie et livrer le pays tout entier aux horreurs de la guerre civile, on n’avait qu’à voter les propositions de l’extrême gauche. M. de Gagern les combattit avec une patriotique indignation. « Quand c’est un étranger qui nous brave, s’écriait l’orateur, il n’y a pas à hésiter, il faut courir aux armes ; mais ici ! mais avec des frères ! …, pour moi, lors même que toutes les épées seraient déjà sorties des fourreaux, je me jetterais encore entre les épées. » ÀÀ ces paroles que la majorité couvre de bravos, un membre de l’extrême gauche répond par un insolent éclat de rire. Aussitôt, frémissant sous l’outrage au point de s’oublier lui-même, M. de Gagern riposte à l’injure par l’injure. Un tumulte épouvantable s’élève ; trop heureuse de trouver en faute le chef illustre des libéraux, la gauche prolonge à dessein, par ses clameurs redoublées, la fausse situation du président du conseil. Enfin, le calme se rétablit, et M. de

  1. La Revue a publié une étude sur les écrits de M. Max Stirner. Voyez, dans la livraison du 15 juillet 1847, Crise de la Philosophie hégélienne, les Partis extrêmes en Allemagne.