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coule par torrens, les héros des ovations démocratiques redeviennent prisonniers comme auparavant, prisonniers cette fois, non pas du roi, mais du peuple. Les espérances de la Pologne se brisent au pied de la tribune improvisée de Francfort ; la diète exprime le ferme espoir que le gouvernement prussien garantira en toute circonstance la nationalité des Allemands établis dans le grand-duché de Posen, Elle oppose une fin de non-recevoir sans réplique à tout projet de restauration de la nationalité polonaise, et, pour mieux fixer le texte de cette résolution, un des membres les plus distingués de cette assemblée dit en termes exprès que, pour expier le démembrement de la Pologne, on ne consentirait jamais à un démembrement de l’Allemagne[1].

L’antagonisme historique de l’Allemagne et de la Pologne est en effet le mot de l’énigme, et l’Europe commence à le comprendre. Il n’y a rien de neuf ; rien d’inattendu dans un pareil résultat ; ici le passé explique le présent. Pour en avoir l’intelligence, il ne faut s’en prendre ni à cette passion de l’unité que l’Allemagne vient d’embrasser avec un zèle de novice, ni aux derniers événemens de Francfort et de Manheim : il faut remonter jusqu’à l’année 1772, et se demander quel fut le véritable auteur du partage de la Pologne ? qu’est-ce qui l’a proposé le premier ? à qui appartient cette idée ? À tout le monde et à personne, s’il ne s’agit que de l’idée spéculative et abstraite. Si on veut parler de l’application immédiate et pratique, elle appartient à une grande nation représentée par le plus grand de ses princes, à l’Allemagne représentée par Frédéric[2].


I.

On se figure d’ordinaire le partage de la Pologne comme un événement imprévu, un effet sans cause, un coup de tonnerre dans un ciel serein. Pour être très accréditée, cette appréciation n’en est pas plus exacte. La Pologne n’a été morcelée en 1772 qu’après avoir été sur le point de se voir démembrée trois fois en moins d’un siècle. S’il

  1. Séances des 24 et 26 juillet 1848.
  2. « La Posnanie était la province où l’esprit polonais éclatait avec le plus d’ardeur. Les Polonais devenus Prussiens semblaient supporter plus impatiemment que les autres le joug étranger. D’abord la race allemande et la race slave se rencontrant sur cette frontière de la Poméranie et du duché de Posen, avaient l’une pour l’autre une aversion instinctive, naturellement plus vive sur la limite où elles se touchaient indépendamment de cette aversion, suite ordinaire du voisinage, les Polonais n’oubliaient pas que les Prussiens avaient été, sous le grand Frédéric, les premiers auteurs du partage de la Pologne… C’était par des empiétemens successifs sur la Pologne que le grand Frédéric avait lié ensemble la vieille Pruse, la Poméranie, le Brandebourg, la Silésie. » (M. Titiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, tome VII, pages 262 et 662.)