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première partie du XVIIIe siècle, que chaque faction voulut avoir, comme aujourd’hui, son théâtre italien. Haendel dirigeait celui de la cour, où il faisait entendre ses chefs-d’œuvre, que Senesino interprétait d’une manière admirable, tandis que Buononcini aidé de Farinelli, attirait la foule dans celui de l’opposition. Malgré la supériorité de son génie, Haendel succomba dans cette lutte acharnée, où il perdit sa fortune et son repos. Un jour, au milieu d’une discussion des plus vives du parlement anglais, on vit un ministre monter à la tribune pour demander qu’on renvoyât au lendemain le débat d’une affaire très importante sur laquelle, disait-il, le gouvernement, avait, besoin de se consulter. À ces mots, le speaker se lève en riant malignement dans sa large perruque. C’était une scène arrangée par les dilettanti du parlement, qui voulaient assister aux débuts du fameux Pacchiarotti. Savez-vous de quoi s’occupait lord Castlereagh pendant son séjour à Paris en 1814 ? Il chantait des duos italiens avec Mme Grassini devant son ami le duc de Wellington, qui, en regardant les beaux yeux de la virtuose, trouvait la voix du premier ministre très agréable. Mme Grassini, qui avait été une des plus charmantes conquêtes de Napoléon, avait suivi la fortune, en passant à l’ennemi de la France avec armes et bagages.

Jamais aucune cantatrice n’a obtenu à Londres le succès de Mme Catalani. L’apparition de cette femme célèbre dans une ville où s’étaient produits les plus admirables artistes du XVIIIe siècle fut presque un événement public. L’étendue prodigieuse de sa voix aussi égale que forte, la magnificence, le brio de cette vocalisation qui s’épanouissait en gerbes lumineuses comme un jet d’eau du parc de Versailles, la rare distinction de sa personne, la noblesse de son maintien et de son caractère, y excitèrent un enthousiasme universel. Mme Catalani fut, pendant huit ans, l’idole de l’Angleterre. Admise dans les cercles de la haute aristocratie, qui lui savait gré d’avoir résisté aux séductions de Napoléon, courtisée par les tories, admirée par les whigs, elle tenait toute la nation sous le charme de ses gammes chromatiques et de ses gorgheggi enivrans. Lorsque la saison des plaisirs était terminée à Londres, Mme Catalani parcourait l’Angleterre, donnant partout des concerts qui lui rapportaient des sommes considérables. Son nom, imprimé sur une affiche, était un talisman irrésistible qui faisait accourir la foule dans la moindre bourgade de l’empire britannique. L’Irlande, la pauvre Irlande elle-même vendait ses guenilles pour entendre cette merveilleuse sirène, dont i lamp di gola, les éclairs de gosier, éblouissaient les oreilles et fascinaient les cœurs.

L’effet que produisait Mme Catalani sur le public anglais était si puissant et si général, que le gouvernement, dans sa lutte périlleuse contre le grand agitateur de l’Europe, eut souvent recours au talent de la cantatrice pour retremper l’esprit national. Le bruit se répandait-il à Londres que Napoléon venait de remporter une de ces terribles victoires qui brisaient la coalition en mille tronçons, aussitôt le ministère faisait annoncer un concert au théâtre de Drury Lane, où Mme Catalani chanterait, con fiochi, le God save the king et le Rule Britannia. Lorsque sa voix magnifique lançait sur la foule frémissante ces paroles pleines de fierté : Send him victorious, happy and glorious, le public se levait en masse et applaudissait avec transport la belle cantatrice, qu’il comparait