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de l’estime publique que lui avaient méritée la dignité de son caractère, la sérénité de son ame et l’inépuisable charité de son cœur. Dans la charmante solitude qu’elle s’était faite, elle ne cessa pas un jour de cultiver la musique, qu’elle aimait avec passion. Elle chantait pour son plaisir, pour celui de ses amis, et surtout pour les malheureux qui venaient invoquer la magie de son nom. Lorsque les écoliers de Florence allaient se promener tout près de la colline au sommet de laquelle était située la maison de Mme  Catalani, ils entendaient parfois les éclats de cette voix incomparable qui avait étonné l’Europe dans un siècle de révolutions et de batailles. L’invasion du choléra en Italie décida Mme  Catalani à venir chercher un refuge à Paris auprès de ses enfans, qui y sont établis, et qui appartiennent à la France par le droit que leur a transmis leur père, M. de Valabrègue. Le fléau dont elle redoutait les atteintes, et qui l’aurait épargnée peut-être à Florence, l’enleva subitement à Paris le 12 juin de cette année 1849, à l’âge de soixante-neuf ans.

Quelques jours avant sa mort, Mme  Catalani, se trouvant seule dans son salon sans aucun pressentiment de sa fin prochaine, reçut la visite d’une dame inconnue, qui refusa de décliner son nom au domestique. Lorsque l’étrangère fut en sa présence, elle s’inclina en disant : « Je viens rendre hommage à la plus célèbre cantatrice de notre temps et à la plus noble des femmes ; bénissez-moi, madame, je suis Jenny Lind. » Mme  Catalani, émue jusqu’aux larmes, pressa longuement cette digne émule sur son cœur.

Mme  Catalani était une assez faible musicienne. Son éducation avait été si négligée, qu’il lui était impossible de lire à première vue la plus simple cantilène. Elle ne jouait d’aucun instrument ; il lui fallait toujours un accompagnateur à ses ordres, qui fût habitué à suivre les caprices de sa fantaisie. Elle était ce que les Italiens appellent une admirable orechiante. Lorsque Mme  Catalani avait bien étudié un morceau, elle le savait d’une manière imperturbable, et jamais les défaillances de sa mémoire ne venaient contrarier le brio de son imagination. Mme  Catalani n’a pas réussi au théâtre. La scène l’intimidait, elle manquait de naturel et d’animation. Sa voix magnifique, qui s’épanchait en ondes sonores et limpides comme de l’eau de roche, n’emportait dans son cours ni le cri de la passion ni l’étincelle comique. Mme  Catalani était, dans toute la rigueur du terme, une cantatrice da camera, une virtuose en joailleries vocales, qui faisait de l’art pour l’art, ne s’inquiétant que de charmer et d’étonner ses auditeurs. Son répertoire n’était ni très varié ni d’un choix bien sévère : il se composait à peu près d’une douzaine de cavatines, qu’elle chantait partout et toujours. Elle affectionnait particulièrement les morceaux suivans, qui ont fait le tour de l’Europe : Son regina, de la Semiramis de Porto-Gallo, que ce compositeur a écrit pour elle à Lisbonne ; l’air Delle trombe, de l’opéra des Trois Sultanes de Puccita ; les variations de Rode, et Nel cor piiu non mi sento, de la Molinara de Paisiello, mélodie exquise dont Mme  Catalani altérait l’adorable simplicité par les broderies les plus compliquées. Elle a chanté aussi plusieurs fois à Paris le rôle de la comtesse du Mariage de Figaro, mais le génie de Mozart lui était encore moins familier que celui de Piccinni et des autres grands maîtres de la vieille école italienne Mme  Catalani est restée étrangère à la révolution opérée par Rossini ; son éducation imparfaite et son peu d’aptitude pour