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que la France ne doit être à aucun prix une puissance absolutiste et rétrograde, on a calculé qu’on pourrait peut-être l’obliger à se conduire en pays démagogique, si on réussissait à lui fermer toute issue du côté de la politique intermédiaire et tempérée qui lui est naturelle. Nous reconnaissons qu’il faut aujourd’hui beaucoup de force et de prudence pour se dégager de l’étreinte où nous sommes à Rome entre les deux excès contraires, et regagner nos propres voies. A-t-on marché aussi droit qu’il fallait pour n’en jamais sortir ni par un bord ni par l’autre ? A-t-on eu toute la vigilance, tout le sang-froid nécessaire, pour garder envers et contre tous ces issues dont nous parlons ? Si l’affaire était mauvaise en elle-même, s’est-on mis très résolûment en mesure de la rendre bonne. Tout cela, encore une fois, est une autre question ; c’est la question ministérielle, et il ne tarder pas beaucoup avant qu’elle soit jugée.

On la jugera sans doute sur les motifs tirés de l’affaire romaine ; ces motifs, qui couvriront le débat, n’en excluent pourtant pas d’autres, qui seront couverts par le débat lui-même. Il y a toute une grosse fraction de l’assemblée, qui est peut-être la majorité, à laquelle M. Dufaure et ses amis ne peuvent venir à bout d’agréer, et il est certain cependant que le cabinet n’est pas frappé dans tous ses membres du même inconvénient. Le cabinet n’apprendra plus rien à personne en confessant à la tribune qu’il ne se distingue point par un ensemble homogène. Il est vrai que M. de Lamartine, qui est décidément un ministériel pur, voit dans ces contradictions intimes du gouvernement une utilité providentielle plutôt qu’un défaut humain ; mais la majorité ne voudra-t-elle pas corriger le défaut humain, sauf à laisser la Providence se retrouver ensuite une part ailleurs ? Ou bien M. Dufaure ne pourrait-il pas essayer de faire aussi de l’homogénéité selon ses penchans particuliers, absolument comme la majorité serait tentée d’en faire selon les siens ? M. Dufaure aime beaucoup le général Lamoricière ; il partageait la vivacité de ses sympathies pour le général Cavaignac. Il n’ignore pas que sa présence à Pétersbourg ne rapportera guère jamais à la république d’autre bénéfice que celui d’avoir auprès du czar un représentant qui ne lui déplaise pas. Il désirerait, dit-on, très positivement employer plus prés de lui l’expérience de son ancien collègue, et la modestie de M. Rulhière serait réduite à convenir que le ministre du général Cavaignac ne peut manquer d’être le meilleur ministre de la guerre du prince Louis-Napoléon. Le général Changarnier se rendrait, lui, difficilement à cet avis-là, et, comme il compte dans le département auquel M. de Lamoricière serait appelé, il faudrait probablement se passer de ses services. Or, la majorité tient au général Changarnier au moins autant que M. Dufaure au général Lamoricière, et la question, la question profonde, serait de savoir laquelle de ces affections trop divergentes l’emporterait au scrutin. Nous nous abstenons, et pour plus d’une cause, de chercher les raisons particulières de ces prédilections contradictoires.

Quoi qu’il en soit, puisqu’il doit y avoir un tournoi parlementaire avec armes plus ou moins courtoises, nous souhaitons qu’il se décide vile. La galerie est fatiguée d’attendre un vainqueur des vainqueurs, ou, pour dire les choses avec plus de sérieux, ce pauvre pays que nous sommes a faim et soif d’un gouvernement dont on ne soit pas toujours à voir venir le successeur. Le pays pacifique et laborieux ne demande qu’à se laisser aller en fermant les yeux pour ne pas même sentir s’il dégringole, et dût-il dégringoler, pour peu que