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villégiature dans ses terres du nord. Le président du banquet, chargé de porter sa santé, le remerciait hautement « d’avoir conservé au royaume une paix si profonde, alors que depuis deux ans l’Europe était plongée dans les convulsions de l’anarchie. » — « Ce n’est pas à moi, a répondu sir George, ce n’est pas à mes honorables collègues plus qu’à moi qu’il faut attribuer le mérite de cette paix dont vous vous félicitez. Après la grace de la Providence, le mérite en revient au bon sens, au sain et solide bon sens des Anglais, à leur attachement pour ces institutions conquises par nos pères et formées par l’expérience, — pour ces institutions que nous transmettrons à nos descendans améliorées, comme elles l’ont été de notre temps, par le consentement général du pays, car il n’y point d’amélioration en dehors du consentement général, pour ces institutions, dis-je encore, qui peuvent sans doute changer et s’amender selon le progrès de la raison, mais que tout Anglais est appris à chérir et qu’il saura constamment défendre, d’un côté contre le despotisme, de l’autre contre l’anarchie. Je suis heureux d’avoir l’occasion, dans mon comté, devant vous, mes électeurs, qui m’avez envoyé à la chambre des communes, l’occasion publique de rendre hommage au loyal dévouement dont un si grand corps entoure à la fois et le trône et ces libres institutions, cette constitution de la liberté qui est l’orgueil, le privilège, le bonheur de ma patrie. » Celui qui pourrait entendre ces belles paroles sans qu’elles lui allassent au cœur, celui qui ne comprendrait pas tout ce qu’il y a de puissant et de fécond dans cette satisfaction intime d’un homme d’état fier de son pays, celui-là ne se doute pas de ce que c’est que la vraie grandeur politique ; il doit se trouver fort à l’aise dans la France qu’on nous a faite.

Nous l’avons déjà dit, cette prospérité de nos voisins a pourtant ses ombres. Derrière le triomphateur romain marchait l’esclave dont les injures le rappelaient à l’humilité. Sir George Grey n’avait qu’à tourner la tête au milieu même de cette effusion triomphante ; il eût reçu à la face l’éternelle malédiction de l’Irlande. Le voyage de la reine, l’attitude conciliante qu’elle avait prise avec tant de bonne grace et de fermeté, avaient un instant apaisé les sombres rumeurs. À peine la reine a-t-elle eu quitté cette terre où elle marchait sur les cendres toujours chaudes de la guerre civile et de la guerre sociale, que les cendres se sont rallumées. Le paysan, irlandais vient décidément de se mettre en campagne contre la rente, et l’on s’attend à voir cet hiver tout le midi révolté. Le jeu se joue déjà dans beaucoup d’endroits avec cette discipline muette qui fait du malheureux Paddy un si commode instrument des sociétés secrètes. Au moment où le tenancier s’attend à voir le propriétaire lui réclamer la rente du revenu, et le gouvernement la rente de l’impôt, les grains et les fruits, gage de sa solvabilité, disparaissent de son champ. Le débiteur réfractaire rassemble ses parens, et tous en armes vont l’aider à charger son grain pendant la nuit pour l’emporter au loin. La besogne se fait avec une étrange rapidité. Les maraudeurs attaquent la police, si elle n’est pas en nombre ; ils lui donnent le change par des malices irlandaises s’ils sont les plus faibles ; une arrière-garde protége leur retraite, et quand ils sont assez à distance, ils vendent leur butin et s’embarquent avec l’argent pour l’Amérique. Les landlords sont sous le coup d’une véritable terreur ; les bons paient pour les mauvais. Ces sauvages procédés de spoliation répandront bientôt, si l’on ne les arrête, une détresse plus