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effroyable et plus universelle qu’elle ne l’a encore été. Mais comment guérir le vertige d’une population ignorante et fanatisée, capable de toutes les crédulités et de toutes les dissimulations ? Imaginerait-on les histoires dont elle se repaît maintenant ? Pour lui dissimuler l’avortement ridicule du complot d’O’Brien et de Mitchell, les nouveaux repealers, qui ont relayé ceux-là, racontent comme parole d’évangile que tout ce complot de la jeune Irlande n’était qu’une machination du gouvernement anglais, qu’on avait uniquement voulu susciter une concurrence à O’Connell, afin de lui briser le cœur, et qu’enfin ces fourbes rivaux du vieux Dan se partagent à présent la direction d’une colonie, récompense de leur trahison. Il ne fallait plus que ce dernier coup de pied au pauvre O’Brien, l’infortuné descendant des rois contemporains de saint Patrice ; mais hélas ! quelle union espérer pour le bien dans un pays où l’on ne sait pas même s’unir pour le mal ? Aussi le mal passe-t-il à l’état chronique, et l’Angleterre, trop habituée à cette calamité permanente de l’Irlande, la regarde presque comme un embarras obligé. On dirait même qu’elle est plus sensible aux contrariétés imprévues qui lui viennent sans cesse depuis quelque temps des quatre coins de son empire colonial.

Si le ministre de l’intérieur, sir George Grey, s’abandonne avec une certaine béatitude à la contemplation des prospérités nationales, il n’est pas probable que le secrétaire des colonies, le comte Grey, soit fort en train de goûter les mêmes loisirs. Son administration est l’objet des plus dures critiques, et de fait, soit par maladresse dans le choix des personnes, soit par précipitation inconsidérée dans l’emploi des mesures, il s’est créé embarras sur embarras. À Ceylan, à la Guyane, à la Jamaïque, aux îles Ioniennes, au Canada, au cap de Bonne-Espérance, partout l’autorité du gouvernement a été méconnue, et les complications n’étaient pas plus tôt résolues sur un point qu’elles renaissaient sur l’autre. À Céphalonie, ce sont des paysans qui se révoltent contre les anciens usages féodaux et poursuivent leurs propriétaires avec le fer et le feu, malgré le rude régime du commissaire anglais. Au cap, les riches et sévères calvinistes de souche hollandaise ou française, qui exploitent leurs immenses fermes au milieu des tribus sauvages du midi de l’Afrique, ne veulent pas consentir à recevoir sur leur territoire les convicts que le comte Grey leur envoie en guise de recrues pour leur population. Au Canada enfin, sous les yeux même du gouverneur qui représente l’Angleterre, on forme une ligue anti-anglaise, et l’on débat publiquement s’il convient de s’annexer aux États-Unis.

Il est peut-être heureux pour la tranquillité de l’Angleterre, dans ses lointaines possessions de l’Amérique du Nord, que les États-Unis se refusent, sous la présidence du général Taylor, à continuer les traditions belliqueuses et le système d’agrandissement du président Polk. Le cabinet de Washington a donné la meilleure preuve de la sincérité avec laquelle il renonce à la politique conquérante, en empêchant l’expédition clandestine qui se préparait à enlever Cuba aux Espagnols comme on enleva jadis le Texas au Mexique. De ce côté-là de l’Atlantique est maintenant la grande force de vie et d’expansion. Là s’amassent peut-être pour l’avenir les armées qui engageront le dernier combat dans lequel on décidera de la suprématie du monde et du destin de l’humanité. Là seulement se trouvent les élémens d’une résistance assez énergique