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mais l’électeur, qui connaissait « les délibérations tumultueuses de cette république, incertaine dans ses résolutions, légère dans ses engagemens prête à faire la guerre sans en avoir préparé les moyens, épuisée par la rapine des grands et mal obéie par ses troupes, répondit qu’il ne pouvait pas se charger des malheurs qu’il appréhendait, ni sacrifier le bien de ses provinces pour sauver cette république, qui paierait ses services d’ingratitude[1]. » C’est en ces termes que Frédéric nous transmet les paroles de son aïeul, et il les rapporte dans un esprit sur lequel on ne peut se méprendre. Avec quelle joie il adopte cette haine héréditaire ! avec quelle amertume il l’exagère pour son propre compte ! Rien ne l’adoucit, rien ne le désarme. L’antique gloire de la Pologne n’a point de prestige pour lui. Qu’il ne pense pas à la délivrance de Vienne, à l’Europe préservée de l’islamisme, rien de plus simple, il n’est pas assez bon chrétien pour cela ; mais qu’il ne soit touché ni de la naïve valeur, ni de la grace héroïque de cette nation brillante, voilà ce qui étonne dans un grand capitaine, qui se croit un grand poète. Frédéric a jugé la Pologne avec une rigueur outrageante et l’a condamnée sans appel. « Ce royaume, dit-il, est dans une anarchie perpétuelle les grandes familles sont toutes divisées d’intérêts ; les Polonais préfèrent leurs avantages au bien public, et ne se réunissent qu’en usant de la même dureté pour opprimer leurs sujets, qu’ils traitent moins en hommes qu’en bêtes de somme. Ils sont vains, hauts dans la fortune, rampans dans l’adversité, capables des plus grandes infamies pour amasser de l’argent, qu’ils jettent aussitôt par les fenêtres lorsqu’ils l’ont ; frivoles, sans jugement, capables de prendre et de quitter un parti sans raison, et de se précipiter, par l’inconséquence de leur conduite, dans les plus mauvaises affaires : ils ont des lois, mais personne ne les observe, faute de justice coercitive,[2]. » Dans ce tableau, où les ombres accumulées à dessein ne laissent passage à aucun rayon de lumière, dans ces accusations, disons mieux, dans ces invectives, qui ne reconnaîtrait une aversion native, une haine de nationalité et de race ?

Toutefois nous devons faire ici nos réserves. Trop souvent exclusive dans les moyens qu’elle emploie et qu’elle rejette tour à tour, la critique historique veut ramener aujourd’hui à la diversité, des races toutes les guerres, toutes les rivalités de peuple à peuple. Ce principe a certainement sa valeur et son action, nous sommes loin de le méconnaître mais il n’est pas le seul, il n’est pas même le plus énergique des nombreux dissolvans qui divisent les familles humaines. Dans les masses, comme chez les individus, la plus indestructible des antipathies,

  1. Œuvres de Frédéric-le-Grand, Mémoires de Brandebourg, tome Ier, p. 56, Berlin, 1846. Imprimerie Royale.
  2. Œuvres de Frédéric, tome II ; Histoire de mon temps, p. 24.