Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 4.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

somme serait offerte, à titre de prime, aux actionnaires des anciennes compagnies de Bordeaux à Cette, de Fampoux à Hazebrouck, et de Lyon à Avignon, qui voudraient prendre part à l’opération, et qui pourraient, par ce moyen, rentrer en partie dans les sommes qui composaient les cautionnemens de ces compagnies, cautionnemens dont le trésor a été mis en possession. » Cette subvention en argent était inutile en elle-même. En recourant à l’industrie prive, l’état avait voulu éviter d’aggraver ses charges. Si le gouvernement cédait à un sentiment équitable en restituant les cautionnemens confisqués des compagnies qui ont été coupables plus par son fait que par le leur, nous l’en approuvons ; mais alors ce n’était pas une fraction des cautionnemens, 15,500,000 francs, c’étaient les cautionnemens entiers, 22,500,000 francs, qu’il fallait rembourser. S’il s’agit d’une réparation, elle ne peut être ni incomplète ni faite par d’autres mains que celles de l’état. C’est une question de dignité ; en pareil cas, le gouvernement ne peut avoir ni intermédiaire ni tuteur. Nous blâmons le gouvernement, parce qu’en consentant à cette subvention, il a involontairement fait appel aux passions de la Bourse. Que s’est-il passé en effet depuis que la destination de la subvention, considérée comme indemnité des cautionnemens confisqués, a été connue ? Les éventualités, qui se traînaient à vil prix sur le marché, ont été accaparées : elles sont accumulées aujourd’hui en quelques mains qui ne peuvent réaliser les bénéfices de leurs spéculations qu’en souscrivant à la compagnie un nombre proportionné d’obligations ; ces hommes-là ne figureront dans l’affaire que pour faire admettre en compensation et au pair leurs éventualités ; l’opération une fois réalisée, ils provoqueront la hausse, feront leur butin et ne laisseront au public honnête et sérieux, mais abusé, que les mauvaises chances de la spéculation.

Nous reprochons au gouvernement d’avoir permis que la compagnie divisât son capital en actions et en obligations. Nous avons vu que le mécanisme des obligations créait une opération attrayante ; mais c’est une opération arbitraire. Admettre en effet qu’on ne peut pas souscrire des obligations sans être propriétaire d’éventualités, c’est d’un côté exclure le public, et le forcer de l’autre d’aller à la Bourse acheter ces éventualités. Dire aux porteurs de telles éventualités : Vous paierez tant, et aux porteurs de telles autres : Vous ne paierez que tant, c’est consacrer une inégalité que rien ne justifie. Quant aux actions, nous avons dit qu’en cas de réussite, elles peuvent obtenir jusqu’à 11 ou 12 pour 100 d’intérêt ; mais, en cas d’insuccès, la déroute sera aussi vive, car la perte, au lieu de se répartir sur 240 millions, se concentrera sur 100 millions. Observez que ce capital de 100 millions aura à faire face à l’amortissement, non plus de 240 millions, mais bien de 300 millions, car les obligations négociées à 352 francs 50 centimes n’en sont pas moins de 500 francs : c’est déjà une surcharge, pour le capital, de 60 millions. Une moins value de 20 pour 100 dans l’affaire générale se traduira par une moins value sur les actions de 50 pour 100 ; dans les jours prospères, ces actions auront en elles une vitalité qui en fera nécessairement exagérer la valeur, tout comme dans les crises la dépréciation sera sans bornes. Cette combinaison enfin n’est pas acceptable, parce que l’intention du gouvernement a été de traiter avec une compagnie à la tête d’un capital réel de 240 millions et non pas de 100 millions, seulement. Avec un capital de 240 millions, la propriété du chemin de fer est un immeuble