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mais un emprunt pareil, présente en ce moment de graves inconvéniens. D’abord, comme nous l’avons dit plus haut ! il a le tort de se produire sur le marché à peu près en même temps que l’affaire du chemin de fer de Paris à Avignon, et par conséquent de mettre la place sous le coup de deux appels de fonds simultanés. Il grève le grand-livre de 11,750,000 francs de rente environ, si on l’émet en 5 pour 100. Ce malheureux grand-livre, déjà surchargé de 70 millions de rente depuis la révolution de février ne pourrait-il pas rester quelque temps fermé ? — Il ne fait obtenir de l’argent à l’état que sur le pied de 5 trois quarts à 6 pour 100 ; car, tout calculé, nous craignons qu’un emprunt ne puisse pas se conclure à mieux de 84 à 85 francs. Enfin il met le trésor sous le coup d’une perte de 35 à 40 millions le jour où l’on voudra soit rembourser soit amortir.

Voilà donc l’état entre l’obligation d’emprunter 200 millions et les inconvéniens de cet emprunt en rentes ; cette position est délicate et périlleuse. La difficulté peut-elle être tournée avec succès ? Nous le croyons.

Qu’on nous permette d’abord d’exposer quelques idées préliminaires sur les bases financières, la construction et l’exploitation des chemins de fer. Une des principales causes du mauvais succès de la plupart des affaires de chemin de fer vient de ce qu’on n’a pas su séparer les trois parties, les trois élémens, les trois fonctions, les trois responsabilités qui concourent à ces sortes d’affaires organisation financière, construction, exploitation. En donnant l’impulsion au mouvement des chemins de fer, on a confondu jusqu’ici ces trois spécialités. On a composé presque exclusivement de banquiers les conseils d’administration. On a fait sortir le financier de sa sphère, on lui a attribué la responsabilité de l’ingénieur et l’industrie de l’entrepreneur de transports. La conséquence a été que les études qui ont précédé l’exécution des lignes n’ont pas été faites avec assez de connaissances pratiques ou d’ardeur intéressée Les membres des conseils d’administration ont eu beau se faire seconder par des ingénieurs habiles et honorables, obligés à leur tour de s’entendre avec le gouvernement et les ponts et chaussées ; ils ont dû se soumettre à passer sous les fourches caudines de toutes ces diverses volontés. Voyez-vous des banquiers luttant autour d’une table ronde sur des questions de tunnels, d’aqueducs, etc. ! Dans de pareils débats, ils étaient destinés à approuver sans cesse la décision d’autrui ; entre la main qui construisait et la main qui payait, il n’y avait aucune relation d’intérêt. Si l’ingénieur faisait des fautes, s’il pensait plus à l’intérêt de sa réputation, qui commandait le luxe, qu’à l’intérêt de la compagnie, qui commandait l’économie, c’était la compagnie qui en faisait les frais. Dans ce mode de direction, les lois du bon sens semblent à plaisir avoir été foulées aux pieds. Nous ne croyons pas que la nécessité d’une réforme sur ce point puisse être contestée. Nous voyons dans une affaire de chemin de fer une question de construction, une question d’exploitation, une question d’argent ; aux ingénieurs, la construction ; aux entrepreneurs des messageries, des bateaux, du roulage, l’exploitation ; aux hommes de finance, la commandite ; à chacun, sa fonction et sa responsabilité. Quand les ingénieurs construiront les chemins à leurs risques et périls, ils coûteront moins cher. Quand les entrepreneurs exploiteront, ils seront plus habiles à provoquer la recette, et leurs plaintes sur le déplacement de leur industrie deviendront sans objet. Quand les hommes d’argent ne seront plus que de simples commanditaires, placés entre le chiffre