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l’atelier et de se livrer exclusivement et sans relâche à l’étude du dessin. Elle suivit ce conseil, et, sous la direction amie de cet artiste, elle redoubla d’efforts et copia les maîtres en vue de son art spécial. Les jeunes artistes, à quelque branche qu’ils se vouent, ne savent pas assez, de nos jours, ce qu’il leur resterait du commerce avec les grands hommes de l’art, de cette lutte avec la science des Romains, la splendeur et la force des Vénitiens, la fidélité des Hollandais. Le talent de Mlle Rue s’y fortifia rapidement, et elle préluda bientôt à ses débuts en faisant la miniature d’une nièce de M. Rousseau, alors l’un des maires de Paris et depuis pair de France. Toutefois, éclairée par ce premier essai, elle se décida à travailler encore avant de se jeter dans la lice où brûlaient alors des talens distingués en possession de la faveur publique. On remarquait d’abord son maître Augustin, travailleur consciencieux et intrépide, dont la réputation s’était étendue hors de France. Comprenant la peinture d’une manière un peu étroite, cet artiste avait cru qu’un fini prodigieux était la dernière limite de l’art. Aussi ses miniatures, quelquefois fort belles, mais trop souvent attaquables sous le rapport du dessin et de la couleur, sont-elles des prodiges d’exécution patiente, dont l’œil armé de la loupe essaierait en vain de surprendre le travail.. À un rang inférieur par la renommée, mais supérieur par le talent, on découvrait le vétéran de la miniature, le vieil Aubry, qui, comprenant mieux la véritable vocation de la peinture, plus artiste en un mot que son émule Augustin, avait produit des portraits fort remarquables et donné l’essor à plusieurs élèves distingués.

Isabey avait produit, sous l’empire, des miniatures fort belles, qui lui avaient valu le renom sur lequel il vit encore. Depuis, il avait quitté l’imitation de la nature pour se jeter dans un océan de gaze que le mauvais goût avait adopté avec ardeur, et la mode voyait la grace dans ces visages de femmes coquettement voilées de nuages et de vapeurs. Chaque jour, Isabey s’était éloigné davantage de la nature, qu’il avait cependant su comprendre. Plus de caractère dans le dessin, plus de vérité dans la couleur ; mais la mode lui souriait encore et en faisait un rival dont il fallait tenir compte. À côté d’Isabey s’était élevé Saint, plus ferme et plus sévère, et qui se gardait de mettre l’adresse à la place de la vérité. Artiste studieux et plein de conscience, mais observateur peu habile, il abusait un peu trop de la touche ; il manquait de légèreté dans les accessoires, et ses ajustemens, faits à la manière de Gérard, semblaient être calqué sur ceux de cet artiste. Ce cachet puissant et fort qui accuse à la première vue l’individualité ne brillait que rarement dans son modelé et dans sa couleur ; à toutes les bouches, à tous les yeux, à tous les nez, Saint donnait un air de famille, et un perfide souvenir de la bosse s’interposait entre ses yeux et la nature. Enfin, étranger à l’art des sacrifices, il s’appesantissait en voulant tout rendre et tout nommer. En un mot, dans ses ouvrages trop positifs, si l’on peut parler ainsi, rien ne sentait le caprice, rien ne rappelait ce vague mystérieux dont abonde la nature, rien ne s’éclairait du rayon de l’idéal ; et cependant, en dépit de ces défauts, Saint était un talent solide, un véritable artiste.

Tels étaient les principaux miniaturistes qui occupaient l’opinion quand Lizinka Rue mit au jour ses premiers portraits : le président Amy, Louis XVIII, le duc de Friz-James et M. Perronet, premier valet de chambre du roi. Le premier et les deux derniers sont restés au nombre de ses chefs-d’œuvre. Quelque temps après, Lizinka Rue, devenue Mme de Mirbel, voyait la foule se presser